Nous sommes tous des émigrés
ous pouvez constater au fil des textes que la plupart ne datent pas d'hier et que certains peuvent être approximativement datés avec des références particulières, comme la SOLMER dans celui-ci --référence que l'on pourra retrouver dans d'autres car sa construction a marqué fortement la région par les cadavres d'ouvriers qu'elle a empilés allègrement.
Mais puisque c'étaient déjà un peu...des émigrés.
Déportés au train de l'acier
Qui a laminé la Lorraine
Laissant, au passé des crassiers
Déserts, les parents qui s'y traînent
Boue et crachats de la SOLMER
Mistral drossant les caravanes
Echouées sans savoir la mer
Comme voiliers dans la savane
Quelques feuilles séchant par-ci
L'arbre à Longwy: c'est le progrès
Saurons-nous remourir ici?
Qu'y sommes-nous? Des émigrés
Ecartés des clefs du pouvoir
Par les mâtons des actionnaires
Porte-lois sachant se mouvoir
Dans les sénats, les ministères
Evincés d'une société
Qui taille nos droits à sa cote
Mais implore notre piété
Civique, la veille des votes
Exilés des futurs dorés
Pleins d'avenir désintégré
Des libertés commémorées
Nous sommes tous des émigrés
Démaillant nos brins de chaleur
Aux besoins mis en servitude
Cédant un vieux fond de valeurs
Pour cent paquets de solitude
Des sentiments désaffectés
Envahis par des platitudes
La réflexion déconnectée
Pour de jetables certitudes
Triés en marginalités
Hibernés à trente sept degrés
De l'humain déshabilité
Nous sommes tous des émigrés
Pensée en kit, d'hypermarché
Pour éthique emballée sous vide
Philosophie souple, en sachet
Pour concepts en celluloïd
Avec égoïsme en option
Dans les rayons du fétichisme
De l'hédonisme en promotion
Mixé par le capitalisme
Par tactisme téléguidés
Chiots sans Pavlov, bon gré mal gré
Du champ défolié des idées
Nous sommes tous des émigrés
Joies à durée déterminée
Vie sous contrat intérimaire
Les "fins de droit" entérinés
Lancés vers leur bicentenaire
Culture et savoir dans l'égout
De la liturgie cathodique
Financiers trouvant, qu'à leur goût
Gréviste se lit hérétique
Jeux boursiers sacrés à l'envi
Faim épandue, banal engrais
Du temps de la Bourse ou la vie
Nous sommes tous des émigrés
Mémoire, pouvoir hors de vue
Des existences de passage
Espoir croisé, mal entrevu
Toujours froissé dans les bagages
Semées sans glèbe aux deux cents vents
Des banques qui maquent l'Europe
Nos misères, dorénavant
Feront du tramping interlope
Plus que des souvenirs d'amis
Chair à profit sans pedigree
Poussières d'humains au tamis
Nous serons tous des émigrés
De ce temps relativisé
Nous sommes tous des émigrés
Marius Vinson