Lettre d’un fonctionnaire au président.
Monsieur le Président,
Oui monsieur le Président, je suis un privilégié, un protégé, un « bien payé pour ce qu’il fait », un de ceux dont vous prétendez à l’envi qu’il n’a pas un vrai travail, dont il faudrait lui augmenter le temps de présence sur son lieu d'exercice. Oui, je suis un Bopasbo. Un peu bourgeois mais pas encore bohème car vous ne m’avez pas encore tout « piqué ». Un fonctionnaire !
Je suis, voyez-vous, doublement touché par vos tentatives de division. Doublement touché car mon épouse elle aussi est également fonctionnaire. Comble de l’ignominie, un couple de français qui vivent sur l’argent des vrais travailleurs. Je ne sais si vous avez conscience, monsieur le Président, de ce que vos propos et votre attitude peuvent blesser et démobiliser. Démobilisés nous ne le serons plus ayant cessé notre activité, blessés nous le resterons tant que vous aurez la parole !
Blessés car nous avons le sentiment d’avoir très largement contribué au mieux être de notre société par notre travail. Le sentiment d’avoir été acteurs plutôt que profiteurs.
Pour ma part, j’ai dirigé une école primaire en ZEP pendant plus de trente ans. Dix heures de présence par jour dans mon établissement j’étais bien loin des 27 heures que vous nous reprochez ! Avec mes collègues, nous avons œuvré sans relâche pour que tous les enfants qui nous étaient confiés se voient offert une chance de trouver leur place dans ce pays, d’échapper aux pesanteurs de leurs origines, de devenir citoyens de ce pays. Mais voyez-vous, je me demande si en fait ce n’est pas cela que vous nous reprochez. Essayer de faire des citoyens responsables et éduqués !
Mon épouse, elle, a travaillé dans un grand hôpital public, plus de 20 ans comme laborantine de nuit, analyse sanguine, erreur interdite dans la chaîne des soins et de la prise de décision. Maillon anonyme, non reconnu, mais indispensable. Elle en a vu passer des éprouvettes de sang ! Et bien croyez-moi si vous voulez, ils avaient tous la même couleur ! Mais voyez-vous, je me demande en fait si ce n’est pas cela que vous nous reprochez, soigner tout le monde, ne faire aucune différence, ne voir que l’humain !
Nous ne faisons pas partie, c’est vrai des personnes à plaindre, même si sous votre règne et celui de vos prédécesseurs, ce sont 20% de notre pouvoir d’achat qui se sont envolés. Même si nous avons sans sourciller payé nos impôts (aucune stratégie pour en camoufler), même si nous avons rendu à l’Etat plus que notre patrimoine restant. Mais Je ne me plains pas. Il nous reste suffisamment pour être heureux, notre bonheur monsieur le président ne se cachant pas dans des montres de luxe mais bien plutôt dans les levers de soleil sur nos causses.
Non ! Ce qui me révolte, c’est que vous n’avez eu de cesse de diviser ce pays, de diviser les gens qui y travaillent, de démanteler l’éducation (je connais bien) la santé (mon épouse connait bien), la justice, les services sociaux (je connais bien aussi). Je ne supporte plus vos attaques incessantes contre ces fonctionnaires coupables de tous les maux, trop nombreux, trop payés, trop peu rentables.
Ce que vous ne dites pas aux français, monsieur le président, c’est que les services publics et leur fonctionnaires servent prioritairement les moins favorisés.
Dites-moi :
Qui a besoin d’une école gratuite, efficace et ouverte à tous ? Pas les classes les plus favorisées qui de toutes manières trouveront toujours une manière rémunérée d’éduquer leurs rejetons.
Qui a besoin d’un hôpital public ? Pas les classes les plus favorisées qui de toutes manières trouveront toujours une clinique privée où ils pourront se payer leurs soins.
Qui a besoin de transports public efficaces ? Je continue ? Je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Monsieur le président, vous démontez avec obstination tout un héritage français, tout ce qui faisait que ce pays était sans doute un des moins inégalitaires.
Je vous accuse, monsieur le président de n’agir que mû par une idéologie ultralibérale qui veut un monde de misérables au service d’un nombre réduit de possédants.
Oui, monsieur le président, vos discours me blessent en ce qu’ils me touchent directement dans ce que je suis, dans ce à quoi je crois, dans ce pour quoi j’ai travaillé. Oui, monsieur le président, vos actes me blessent en ce qu’ils portent une atteinte irrémédiable à ce pays et à ces gens que vous contribuez chaque jour à déposséder du peu qu’il leur reste.
Monsieur le résident, vous cristallisez à mes yeux tout ce que je déteste en ce monde. Prétention, suffisance, mensonge, mépris.
C’est suffisant pour que le 6 mai je fasse ce que je pourrai pour que vous ne puissiez plus continuer de conduire ce pays et ses habitants à leur perte.