Les plus belles planques de la République
Un diplôme d’infirmière permet rarement de décrocher une sinécure. Sauf, bien sûr, quand on est une militante politique dévouée comme Isabelle Deleu. Cette femme dynamique de 48 ans, qui a débuté sa carrière au très chic Hôpital Américain de Neuilly, a été bombardée par décret, en avril dernier, «contrôleuse générale économique et financière de première classe», l’un des postes les plus convoités de la haute fonction publique, attribué à vie, et rémunéré 8 000 euros par mois.
Il est vrai que cette militante RPR depuis 1983 avait depuis longtemps abandonné sa blouse blanche et ses seringues pour être nommée chargée de mission auprès de Nicolas Sarkozy, alors secrétaire national à la jeunesse du parti. Devenue plus tard attachée de presse, puis conseillère parlementaire, Isabelle Deleu était ces derniers temps en poste au cabinet de Christine Lagarde, à Bercy. Son agenda est aujourd’hui nettement moins chargé : début juillet, elle ne s’était toujours pas installée dans son nouveau bureau et le standard indiquait ignorer sa date d’arrivée.
Bah ! Cette chanceuse n’est pas la première à trouver refuge dans une planque de la République : voilà des lustres qu’amis et obligés du pouvoir se font offrir des jobs pas trop harassants et souvent très bien payés. Avec, en prime, la garantie de l’emploi et une retraite aux petits oignons. Dans un contexte de crise et de chasse aux déficits publics, ce favoritisme passe de plus en plus mal dans l’opinion, comme l’a montré l’affaire Ferry. Certes, en signant à tour de bras des décrets nommant ses protégés dans la haute fonction publique, Nicolas Sarkozy ne fait que perpétuer la pratique du «tour extérieur», largement répandue sous Mitterrand et Chirac. «Après tout, il est normal d’ouvrir les grands corps à d’autres profils que les énarques, commente le député socialiste René Dosière, grand pourfendeur des gaspillages de l’Etat. Mais encore faudrait-il que les personnalités choisies possèdent les compétences requises.»
Ce n’est pas toujours le cas… Ainsi, en dépit de l’avis défavorable émis le 10 janvier par une commission d’aptitude, Dominique Tiberi, le fils de l’ancien maire de ¬Paris, a été catapulté contrôleur général économique et financier, comme notre infirmière. A en croire les mauvaises langues, François Fillon, qui rêve de conquérir la mairie de Paris aux prochaines municipales, aurait ainsi voulu se ménager le soutien de Jean Tiberi.
Encore faudrait-il aussi que les emplois publics généreusement distribués ne soient pas fictifs. Agacé par de fréquentes dérives, Didier Migaud, le président de la Cour des comptes, n’a pas hésité à écrire à François Fillon, il y a quelques mois, pour s’interroger sur la réalité du travail fourni par deux inspecteurs généraux de l’Education nationale nommés au tour extérieur. En dix-huit ans, Jean Germain, actuel maire PS de Tours, n’a pondu que dix courtes lettres manuscrites et un mince rapport.
Quant à l’élu UMP guyanais Léon Bertrand, ex-ministre du Tourisme sous la présidence Chirac, il a attendu dix-huit mois pour se rendre à une réunion de travail de son corps d’inspection, en 2009. Il était temps : quelques jours plus tard, il était mis en examen pour «délit de favoritisme et corruption passive». Le coup de semonce de la Cour des comptes n’y changera sans doute rien : dans les allées du pouvoir, de multiples occasions permettent d’obtenir de belles planques.
Les premiers servis ? Ceux qui, comme Léon Bertrand, ont perdu leur job à la suite d’un remaniement. Conseillers obscurs mais dévoués de ministres en vue, ils sont des dizaines à obtenir le Graal : un poste de haut fonctionnaire, comme les vrais énarques.Benoît Parayre, titulaire d’un Deug de philosophie, a ainsi été nommé, en décembre dernier, inspecteur général de l’administration du développement durable. Fidèle collaborateur de Jean-Louis Borloo, dont il était le conseiller presse depuis 2005, il a pu profiter à plein du départ du gouvernement de son patron. En quittant leurs fonctions, les ministres eux-mêmes ont aussi droit à des lots de consolation. Roger Karoutchi, ex-secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, peut en témoigner. Quelques semaines à peine après son éviction du gouvernement, il s’est vu offrir le poste d’ambassadeur auprès de l’OCDE. «Ne croyez pas que je me tourne les pouces toute la journée ! Je prends mon job très au sérieux», se défend-il.
Il n’est pas le seul à profiter des largesses du corps diplomatique : à son grand dam, le Quai d’Orsay doit régulièrement ouvrir aux recasés du pouvoir ses postes peu stratégiques, mais garantis sans soucis. Xavier Darcos en sait quelque chose. Après avoir quitté le ministère du Travail en mars 2010, pour cause de défaite aux régionales, il a commencé par exiger la présidence du château de Versailles, occupée par l’ex-ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon. Ce dernier s’étant défendu comme un beau diable, Darcos a dû se rabattre sur un poste d’«ambassadeur pour l’action culturelle extérieure de la France». Avant de prendre la présidence de l’Institut de France, la nouvelle vitrine internationale tricolore lancée au début du mois de janvier.
Autre ministre en rupture de gouvernement, Rama Yade a, elle aussi, trouvé un havre au Quai. Un mois après avoir été remerciée par Sarkozy, elle a été propulsée, en décembre dernier, ambassadrice auprès de l’Unesco à Paris. Avant d’être contrainte de démissionner par son ministre de tutelle, Alain Juppé, pour cause de soutien trop affiché à Jean-Louis Borloo. Cette effrontée aurait mieux fait de refuser d’emblée cette -faveur empoisonnée… A noter que les sinécures du Quai ne font pas forcément saliver tout le monde. Ainsi, Fadela Amera, qui s’était vu proposer à sa sortie du gouvernement un poste d’ambassadrice auprès de l’Union pour la Méditerranée, dont le siège est à Barcelone et l’activité en sommeil, a balayé l’offre d’un revers de main : elle a préféré se faire nommer par décret inspectrice générale des Affaires sociales.
Mais laissons là les hochets diplomatiques. Pour se faire recaser, les pistonnés du pouvoir peuvent aussi compter sur les commissions de réflexion et autres comités Théodule. Le Conseil d’analyse de la société, l’un des innombrables organismes publics consultatifs, a ainsi été créé sur mesure en 2004 pour son président, l’ex-ministre de l’Education Luc Ferry. En plus de ses livres, chroniques et autres conférences tarifées dans les entreprises ou congrès divers, le philosophe a pu cumuler cette nouvelle fonction avec un siège au Conseil économique et social.
Au Palais d’Iéna, personne ne se souvient cependant l’avoir jamais aperçu durant son mandat de cinq ans, achevé en décembre dernier. Sans la tempête médiatique qu’il a lui-même déclenchée en juin dernier, le philosophe continuerait aussi à être payé par la fac Paris-VII (4 500 euros mensuels), où il était officiellement dispensé de cours pour cause de détachement au Conseil d’analyse de la société. Une planque peut en cacher une autre… On le sait, Matignon a accepté de rembourser les sommes versées par l’université Paris-Diderot, l’employeur du philosophe fantôme.
Faut-il toujours être un chouchou du pouvoir ou un petit soldat méritant des cabinets ministériels pour bénéficier de placards dorés ? Même pas. Ceux qui agacent et font des bourdes parviennent, eux aussi, à décrocher des avantages, pourvu qu’ils débarrassent le plancher. Ainsi l’ancien ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, coupable d’avoir mal géré la canicule de l’été 2003. Pour le consoler de l’avoir congédié comme un laquais du gouvernement, Jacques Chirac l’a expédié au Conseil d’Etat, en service extraordinaire. Il y pointe toujours.
Pas à plaindre non plus, Gilles Dufeigneux, l’ex-chef adjoint de cabinet de François Fillon à Matignon. En septembre dernier, ce sanguin avait dû démissionner après avoir insulté des policiers lors d’un contrôle d’alcoolémie. Quelques semaines plus tard, il a été propulsé délégué interministériel aux grands événements sportifs. Ce qui entraîna au passage un jeu de chaises musicales : ce poste envié était en effet occupé par un autre proche de François Fillon, Frédéric Jugnet, président du club de basket de Sablé-sur-Sarthe, ville dont le Premier ministre a longtemps été maire. Qu’à cela ne tienne : ce prof de gym est entré à l’inspection générale de la Jeunesse et des Sports, où il gagne 6 000 euros net par mois. Il y est, paraît-il, très bien dans ses baskets.
Le très confortable Conseil économique et social
Ce Conseil ne sert à rien, il faudrait le supprimer», fulmine le député UMP Hervé Mariton. Que les 233 membres de l’assemblée consultative se rassurent : leur institution, rebaptisée en 2008 Conseil économique, social et environnemental (Cese), n’est pas près de disparaître. Non que nos gouvernants se passionnent pour les débats des représentants syndicaux, patronaux ou associatifs qui y somnolent. Mais parce que le Cese est bien pratique pour distribuer les récompenses : l’Elysée peut y nommer 40 amis tous les cinq ans au titre de «personnalités qualifiées». Parmi les heureux PQ (comme on les appelle au Palais d’Iéna) de la dernière fournée figurent ainsi quelques cas édifiants : Hervé Marseille, maire UMP de Meudon, récompensé pour avoir laissé sa place àJean Sarkozy au conseil d’administration de l’Epad ; Danièle Dussaussois, ex-élue des Hauts-de-Seine, remerciée pour avoir cédé sa place aux dernières cantonales à Isabelle Balkany (qui a été battue) ; ou encore l’ancien conseiller de l’Elysée Pierre Charon, reconduit pour cinq ans dans la noble institution bien qu’il y mette rarement les pieds. Pour leurs excellents services (quelques-uns y travaillent vraiment), tous perçoivent une indemnité de 3 800 euros brut par mois.
Conseil supérieur de l’audiovisuel : 10.000 euros net par mois
Christine Kelly : Auteur de l’hagiographie «François Fillon, le secret et l’ambition», l’ex-journaliste de LCI est devenue en 2009 membre du CSA pour une durée de six ans.
Francine Mariani : Epouse du patron de Dexia, proche de Sarkozy, cette énarque, nommée conseillère d’Etat au tour extérieur, a été choisie par le président pour siéger au CSA.
Contrôle général économique et financier : 8.000 euros net par mois
Isabelle Deleu : Cette conseillère de Christine Lagarde a eu de la chance : trois mois avant le départ au FMI de l’ex-ministre, elle avait été nommée au tour extérieur dans un grand corps de l’Etat.
Dominique Tiberi : Malgré l’avis défavorable d’une commission d’évaluation, le conseiller municipal et fils de Jean Tiberi a été bombardé par décret contrôleur général de 1re classe.
Conseil d’Etat : 7.500 euros net par mois
Arno Klarsfeld : L’ex-avocat et conseiller à Matignon n’a jamais été un bourreau de travail. Nommé au Conseil d’Etat en octobre 2010, il n’y vient que par intermittence. Inspection générale des affaires sociales : 6.500 euros net par mois.
Fadela Amara : Non reconduite au gouvernement, l’ex-présidente de Ni putes ni soumises a été nommée par décret en janvier dans l’un des grands corps d’inspection de l’Etat.
Inspection générale de l’éducation nationale : 4.500 euros net par mois
Fabrice Larché : Ex-chef de cabinet de Valérie Pécresse à l’Enseignement supérieur, il a été nommé par décret en 2007 à l’académie de Paris. Une décision fustigée par la Cour des comptes.
Christophe Borgel : Cet élu socialiste bénéficiait d’un emploi de complaisance comme inspecteur de l’académie de Paris. Il a pu régulariser sa situation en passant un simple oral.
Conseil économique et social : 3.800 euros brut par mois
Maud Fontenoy : Très appréciée de Sarkozy, la navigatrice avait décliné un poste au gouvernement en 2007. Mais, entre deux voyages, elle ne refuse pas de venir siéger au Palais d’Iéna.
Pierre Charon : Renouvelé pour un mandat de cinq ans, l’ex-conseiller de Sarkozy est aussi président du domaine de Chambord et chargé de mission au Grand Paris.
Lu dans Capital.fr