Parler pour ceux qui n'ont pas de chez eux
Comment parler pour ceux qui n’ont pas de « chez eux ». Humanité en noir et blanc, négatif insoutenable d’une société qui élimine, sépare, renvoie… Gens de nulle part qui doivent quitter un ici improbable pour un ailleurs inexistant. Sans nom, sans pays, sans futur, sans espoir. A l’envers de notre monde d’abondance, ils se heurtent à notre repli sur soi, à notre refus de l’altérité. Alors, je suis en colère : en colère contre cette humanité qui se divise et rejette. Qui hiérarchise les humains. Ceux qui ont des droits et ceux que le droit expulse. Et on vient nous expliquer qu’il ne faut pas céder à l’émotionnel. Face à ces pauvres gens qui s’en vont en empilant leur misère dans de pauvres charriots de supermarché, symboles de cette société qui dépense et gaspille. Ces files de femmes et d’enfants, l’incrédulité au fond des yeux, surveillés par de fiers CRS bouffis de suffisance, de prétention, certains qu’ils font respecter le droit. Mais le droit de quoi ? Quelle fierté peut ressentir une société qui met à la rue des centaines de familles sans horizon ? Ne pas céder à l’émotionnel… Mais bien sûr, ne pas laisser parler le cœur, la corde sensible, tout ce qui fait de certains hommes autre chose que des pierres froides et éteintes. Je suis fier de céder à l’émotionnel pour ma part. Fier que l’autre m’émeuve dans sa détresse et sa douleur. Renvoyer des pauvres à plus de misère encore est-ce honorable ? S’en indigner, est-ce si condamnable ?
Alors, tous ces malheureux frappent à la porte de nos consciences. Il restera toujours des gens pour approuver leur mise à l’écart, il y aura toujours des gens tellement haineux, tellement rongés par la peur de l’autre et l’image douloureuse qu’il nous renvoie qu’ils en sont ignobles. Qu’ils en oublient que l’humanité est une, qu’ils seront peut-être un jour à leur tour des bannis, des pestiférés, des inutiles, des nuisibles, des sous humains à éliminer.
A chaque camp que l’on vide, à chaque femme en larme, à chaque enfant qui tremble, c’est une part d’humanité qui s’évanouit. Ces interventions ne nous grandissent pas.
A tous ceux qui pensent que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde », ce leitmotiv répété jusqu’à la nausée par les défenseurs de la « bienpensance », je dis que ce sont eux qui participent avec zèle à plus de misère, plus de détresse, plus d’inhumanité.
Je voulais juste parler pour ceux
Qui n’ont pas de chez eux
« Et qui ont dans les yeux
Quelque chose qui fait mal qui fait mal… »