Objets ré-animés
a sente n'était rien qu'une trace animale
Que mon copain le chien savait seul repérer
Balayant de sa queue joviale les pétales
Ouvrant dans les buissons ce sillon éthéré
Captivé par son flair, il poursuivit sa traque
Quand la ruine apparut, dans la flore enchâssée
Noyant son mystère de vieux pans de baraque
De gravats, de débris de meubles fracassés
Par les ans, les climats, labourée et brassée
Un éclat de soleil dore un reste de table
Allumant dans le bois des rides patinées
Où la crasse, en ces creux, nous souffle intarissable
Des instants d'autres vies qu'on veut imaginer
Où est-il le couteau qui signa cette encoche?
Venait-il de tailler une branche ou du boeuf?
De quel sac sortait-il, du fond de quelle poche?
Etait-il long ou court, ébréché ou tout neuf?
Peut-être a-t-il servi à fabriquer un veuf...
Et la main qui mettait sa force dans le manche
Sentait-elle les champs, l'atelier, le papier
S'ouvrait-elle en chemin, en geste du dimanche
Vers celle des voisins qui revenaient à pied?
Qu'a-t-elle pu tenir, caresser ou pourfendre?
Quels outils et quels corps a connu cette peau?
Etait-elle ridée, calleuse ou bien trop tendre?
Jouait-elle à ôter avec zèle un chapeau?
Brandissait-elle aussi la couleur d'un drapeau?
Quelles sortes d'humains ont repoli ces planches
Passant, sans le savoir, la cire d'un passé
Avec des heurts de plats, des soupirs, des nuits blanches
Avec les gestes lourds du quotidien lassé?
Qui étaient les vivants dont c'était la demeure
Et les ouvriers qui avaient réalisé
Maison et boiseries, ignorant à leur heure
Que tout mourrait perdu, dévasté, méprisé
Ne laissant qu'un décor de vies dévalisées?
Fut-elle en sa jeunesse bastide de riches
Résidence d'été ou rude métairie?
Quels foyers --choisis, subis...-- y firent leur niche
Semant chagrin et joie dans la proche prairie?
Y a-t-on calfeutré des nuits de Résistance?
Ses derniers habitants en furent-ils chassés
Par la mort, la misère, un tournant d'existence
Vers l'opulence ou dans ces destins concassés
Dont le dieu argent se repaît sans se lasser?
Il pourra t'arriver, sous ton disque, d'entendre
En ponçant un vieux meuble arraché au grenier
Comme des hurlements, sortant d'un coin moins tendre
Rumeur de voix mêlées d'un savoir dénié
C'est le bois qui s'épuise à sauver sa mémoire
Chaque couche enlevée décape du passé
Se tassent, sous tes pieds, des poussières d'histoire
A la tienne liée par de subtils lacets
Fumées d'ombres d'antan en train de s'effacer
Sans doute est-il permis de trouver bien futiles
Et vains ces voyages et détours de pensée
A moins qu'il ne soit pas tout à fait inutile
De songer à tout ce qui nous a devancé
Ne serait-ce que pour essayer de comprendre
Le monde où l'on vit et qui préface demain
Et celui dont sent qu'il faudrait l'entreprendre
En creuser les contours à la main de l'humain
Et, plus curieux qu'un chien, en tracer le chemin
Sonder enfin pour savoir si l'homme abandonne
Les lieux ou si ce sont eux qui l'ont récusé
Car, peut-être, la nature contrainte donne
Ce qu'il faut à l'humanité pour l'écluser.
Mais une truffe humide et deux yeux me questionnent:
Nous étions pourtant bien partis pour cheminer
Librement en sous-bois et goûter sans personne
Ces instants de nos vies au temps encalminé
Comme ceux d'autres vies qu'on peut imaginer
Marius Vinson