Quartiers pourris! Ma réponse à Luc Ferry
Extrait des propos de Luc Ferry: "Pisa n'évalue pas les systèmes éducatifs mais les performances des élèves. Or, les performances des élèves sont mille fois plus liées à ce qui se passe dans les familles qu'à ce qui se passe dans l'école. Je vais vous dire les choses très carrément, quand j'étais ministre c'était un peu difficile à dire, mais mon directeur de l'évaluation est venu me voir, c'était un type très bien, polytechnicien, mais pas idiot pour autant. Il m'a dit : 'Si on supprimait les 15% de quartiers pourris qu'il y a en France, avec des établissements dans lesquels il y a 98 nationalités et où on n'arrive pas à faire cours, et bien nous serions classés numéros 1 dans Pisa.' "
rès honnêtement, Monsieur l'ex-ministre, ces propos auraient du vous brûler la langue. L'ex-directeur de ZEP que je suis s'est senti blessé par vos mots. Blessé en son nom, blessé au nom de tous les collègues qui ont travaillé à ses côtés, blessé au nom de tous ceux qui, avec l'école ont œuvré dans un de ces quartiers que vous osez qualifier de "pourri". Mais comment osez-vous, vous qui avez laissé si peu de trace de votre passage dans notre ministère, vous qui avec vos amis et adversaires politiques avez si dramatiquement abandonné et sacrifié des pans entiers de notre territoire.
En rapportant ces propos, en leur donnant pareil relief, en faisant de ces zones si loin de vos préoccupations les responsables de la mauvaise position de notre pays dans un absurde classement international, vous insultez le travail et le dévouement des professionnels, la pauvreté et la détresse des habitants.
Vous avez abandonné ces cités, vous les avez livrées au désespoir et au renoncement, vous les accusez aujourd'hui d'être une sorte de verrue insupportable.
Moi qui ai passé plus de trente ans auprès de ces gens, qui ai travaillé avec des collègues dévoués, volontaires, imaginatifs, socialement engagés pour sortir un maximum d'enfants de l'ornière du rejet, je ne peux tolérer vos propos. Vous avez beau essayer d'atténuer cette boule puante avec votre "la France a d'excellents professeurs", nous ne sommes pas dupes, je ne suis pas dupe. Vous haïssez ces lieux et ceux qui y vivent, parqués par des politiques de la ville absurdes, regroupés dans des ghettos desquels ils ne parviennent pas à s'extraire. vous n'aimez pas ceux qui y travaillent non plus!
Le seul espoir de ces gens, de leurs enfants, monsieur l'ex, c'est justement l'école, une école qui lutte et s'obstine à apporter toujours "plus à ceux qui ont le moins". Une école qui se fiche pas mal du "pisa" et de tous les baromètres technocratiques que vous appréciez tant. Cette école, dernière présence de l'état dans ces zones de non amour, dernier rempart à toutes les dérives, dernier espoir de ceux qui partent dès la maternelle avec un handicap terrifiant.
Oui, monsieur l'ex, vous tenez ces propos parce que vous n'aimez pas les enfants, vous n'aimez pas l'humain!
Parce que dans votre monde de nantis, tout se mesure et rien n'a de valeur si ce n'est en haut de l'échelle.
Monsieur Ferry, avec ces propos repris avec quelque délectation par certains médias, vous avez un peu plus encore généré du désarroi chez les enseignants qui ont décidé de lutter pour un monde moins inégalitaire, moins révoltant. En stigmatisant certains quartiers, vous stigmatisez ceux qui y travaillent. Votre évocation des 98 nationalités que vous semblez rendre en partie responsables des difficultés, est à mes yeux une insupportable allusion, un propos éminemment raciste.
A titre personnel, dans l'école que je dirigeais, je comptais 18 nationalités et je voyais cela plutôt comme une richesse même si c'était difficile.
Mais ce monde là, vous ne le connaissez pas, vous le méprisez comme vos semblables, si loin dans vos sphères douillettes de nantis. Trop différents, trop en difficulté, trop délaissés, trop méprisés, trop exploités, trop déconsidérés.
Votre intervention est donc purement honteuse, indigne, stigmatisante, désespérante. Elle ajoute de la douleur à du mal être, elle désigne un bouc émissaire facile, elle est inacceptable.
Voila ce que je voulais vous dire, même si je suis quasi certain que jamais ces mots ne vous parviendront.
Ils sont les mots d'un enseignant qui a donné plus de trente années pour ces quartiers et ces gens que vous rendez responsables du mauvais classement de la France. Vous vous rendez compte? Responsables d'un mauvais classement... Quand tant de difficultés devraient au contraire vous mobiliser pour effacer ces "15% de quartiers pourris"!
Mais, monsieur l'ex ministre, puisque le mot est lâché: quel monde est réellement le plus pourri?