La pause du réchauffement climatique : décryptage d’une légende tenace
Alors que le débat fait toujours rage entre tenants du réchauffement et climato-sceptiques, cet article passionnant qui apporte des arguments forts pour s’opposer à tous ceux qui veulent voir une stagnation dans le réchauffement.
La "pause du réchauffement climatique" est au climato-sceptique ce que le poumon est au Malade imaginaire. Que vous vous intéressiez ou non au climat, vous avez nécessairement entendu parler de cette énigmatique "pause du réchauffement" : depuis quinze ans, la température moyenne mondiale n’augmente plus, en dépit de la quantité toujours plus importante de gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère. Certains audacieux exégètes de la science climatique assurent même que le thermomètre baisserait... Le réchauffement, donc, c’est fini !
Que penser de cette affirmation, qui tourne en boucle dans la blogosphère et chez certains confrères ? En réalité, le réchauffement ne s’est nullement "arrêté" au cours des quinze dernières années et ceux qui affirment le contraire se trompent (ou vous trompent). Démonstration en cinq points.
1) Ce que l’on appelle communément "réchauffement climatique" ou "réchauffement global" (global warming, en anglais) est causé par l’introduction, dans la machine climatique, d’un surplus d’énergie lié à l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Dans son dernier rapport, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime (à partir de la littérature scientifique) cette énergie excédentaire à environ 271×1021 joules (ou zettajoules) pour la période 1971-2010. Ce qui représente, grosso modo, l’énergie de trois bombes d’Hiroshima dissipée chaque seconde dans le système climatique au cours des quarante dernières années. Si l’on se penche sur la période 1993-2010, ce taux est plus élevé encore et se situe environ à un peu plus de quatre Little Boy par seconde…
Intuitivement, on peut penser que cette énergie est essentiellement convertie en élévation de température de la basse atmosphère. Mais la réalité est parfaitement contraire à l’intuition. Seule une toute petite fraction de cette énergie – environ 1 % seulement – réchauffe l’atmosphère. La fraction qui réchauffe le sol et fait fondre les glaces (banquise, calottes du Groenland et de l’ouest de l'Antarctique, glaciers d’altitude) est six fois plus importante. Tout le reste de l’énergie excédentaire – soit 93 % ! – réchauffe les océans.
En conclusion de ce premier point, nous pouvons dire que "réchauffement climatique" ne se réduit pas à "réchauffement de l’atmosphère" – le second ne comptant que pour un centième du premier.
2) Le "réchauffement de l’atmosphère" (soit 1 % du "réchauffement climatique") marque-t-il le pas si l’on prend comme période de référence les quinze dernières années ? La réponse est oui. Ce sujet a d’ailleurs été, à de nombreuses reprises (et de longue date), abordé dans Le Monde. Le GIEC l'affirme de manière très clairedans son dernier rapport : la tendance au réchauffement de la basse atmosphère entre 1951 et 2012 à été d’environ 0,12°C par décennie tandis qu’entre 1998 et 2012, elle n’a été que de 0,05°C. Soit plus de deux fois inférieure à la tendance depuis le milieu du XXe siècle. Attention cependant. Prendre 1998 comme année de départ introduit un biais important : cette année a été marquée par un phénomène El Niño d’une intensité exceptionnelle.
Pour comprendre le biais introduit par les climato-sceptiques de choisir 1998 comme année de référence, cherchons à évaluer la tendance sur 1999-2012 par exemple. Une régression linéaire à partir des données de la NASA donne 0,10°C par décennie (deux fois les 0,05°C de 1998-2012 !). Continuons. 1993-2012 ? 0,15°C par décennie ! 1999-2010 ? 0,15°C par décennie ! 1996-2010 ? 0,15°C par décennie ! Ainsi, on observe qu’en ajustant, simplement à quelques années près, les dates de début et de fin de la période choisie, la tendance varie du simple au triple…
Le biais introduit par le choix de 1998 comme année de référence est particulièrement clair sur la figure ci-dessous, montrant l’élévation de la température moyenne terrestre : on distingue clairement le "pic" de 1998 et l’apparente stagnation qui s’ensuit. Mais si on calcule la température moyenne de chacune des quatre dernières décennies (1970s, 1980s, 1990s, 2000s), on constate une progression d’une remarquable régularité.
Évolution de la température moyenne terrestre en moyenne annuelle et en moyenne décennale (GIEC, 2013)
Par ailleurs, la figure ci-dessus montre également une évidence : des paliers, des pauses et des ralentissements de l’élévation des températures de l’atmosphère ne sont pas étonnants ou inhabituels. On voit ainsi un palier entre les années 1950 et les années 1970, en dépit de l’accumulation ininterrompue de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette "pause" n’a pas empêché la tendance haussière de reprendre brutalement à partir des années 1980.
En conclusion de ce deuxième point, nous pouvons dire que le fameux ralentissement du réchauffement de l’atmosphère dépend essentiellement du choix des années de début et de fin de la période considérée. Il est réel si on ne tient compte que des quinze dernières années, mais le premier point nous permet de dire que ce ralentissement ne concerne que le réchauffement de l’atmosphère, c’est à dire 1 % du "réchauffement climatique" au sens large.
3) Ce deuxième point mérite cependant une petite explication. A quoi sont dues ces fluctuations naturelles d’une année (ou d’une décennie) sur l’autre, fluctuations suffisamment importantes pour occulter, partiellement et momentanément, le réchauffement produit par les activités humaines ? Le premier élément de réponse tient en un acronyme : ENSO (pour El Niño Southern Oscillation). C’est le principal élément de variabilité du climat mondial : la phase chaude (dite El Niño) de cette oscillation climatique fait grimper le thermomètre mondial. A l'inverse, la phase froide (dite La Niña) fait baisser ce même thermomètre. Pour une raison que les scientifiques ne s’expliquent pas – qui est peut-être (et peut-être pas) due à la phase négative d’une autre oscillation climatique appelée Pacific Decadal Oscillation (PDO) – la dernière décennie a été pauvre en événements El Niño et riche en événements La Niña (dont certaines très intenses).
D’autres éléments de variabilité naturelle interviennent : les aérosols volcaniques (refroidissants) et les variations cycliques du Soleil. En tenant compte de ces trois facteurs et en "nettoyant" la température moyenne mondiale de leurs effets, les climatologues Grant Foster et Stefan Rahmstorf ont établi cette courbe, publiée en décembre 2011 dans Environmental Research Letters :
Les deux chercheurs ont appliqué leurs corrections de variabilité naturelle aux différents jeux de données établis indépendamment par plusieurs laboratoires à partir de mesures au sol (GISS, NCDC, CRU) ou de mesures satellites (RSS, UAH). Surprise : une fois prise en compte la variabilité naturelle (restreinte à seulement trois facteurs !), la fameuse "pause" ne saute plus guère aux yeux…
En conclusion de ce troisième point, nous pouvons dire qu’une fois pris en compte les trois principaux facteurs de variabilité naturelle, la "pause du réchauffement de l’atmosphère"… disparaît.
4) Voilà qui ne résout pas tout. Car la "variabilité naturelle" pose aux scientifiques une question épineuse et difficile : lorsque de l’énergie est introduite en grande quantité dans la machine climatique et qu’elle ne se traduit pas immédiatement par un réchauffement de l’atmosphère, que devient-elle ? Certains chercheurs pensent que cette "énergie manquante" (cette expression est débattue dans la communauté scientifique, certains ne la trouvent pas pertinente) se cache dans l’océan profond. C’est notamment la thèse de Magdalena Balmaseda, Kevin Trenberth et Erland Källén qui ont ré-analysé l’ensemble des données disponibles sur la quantité de chaleur stockée par l’océan. Selon leurs travaux, publiés en 2012 dans Geophysical Research Letters, environ 30 % de l’énergie introduite dans l’océan l’a été dans l’océan profond, sous 700 mètres de profondeur, comme le montre un graphique de leur article :
On voit que depuis l’an 2000, la quantité de chaleur globale stockée a fortement augmenté. Là encore, la fameuse "pause" n’est pas absolument évidente.
En conclusion de ce quatrième point, nous pouvons dire que les principales questions posées par cette vraie-fausse pause concernent surtout la manière dont le système climatique – notamment par le truchement de la circulation atmosphérique, des courants marins – ventile et répartit l’excédent d’énergie qu’il reçoit (dans l’atmosphère, dans l’océan, les glaces, etc.) en fonction de ses "cycles" naturels.
5) Si vous avez entendu parler de ce fantasmatique "arrêt du réchauffement", il est très probable que vous ayez également entendu dire que le GIEC "n’avait pas prévu la pause actuelle". La réalité est que, jusqu’à présent, le GIEC n’a jamais rien prévu pour la décennie en cours, la capacité des modèles numériques à simuler les fluctuations climatiques à horizon de dix ou vingt ans étant sujette à caution. Cette faiblesse est par ailleurs reconnue par les modélisateurs eux-mêmes (le cinquième rapport du GIEC procède à cet exercice de prévision décennale, mais le résultat n'a pas convaincu l'ensemble de la communauté scientifique).
Voici le graphique qui représente les variations mesurées de températures, par rapport aux résultats simulés par les modèles en fonction des quatre scénarios de développement (du plus sobre au plus émetteur de gaz à effet de serre) :
Prévisions d'évolution du climat en fonction des différents scénarios de développement, et comparaison avec l'évolution des températures effectivement mesurées (GIEC, 2013).
On voit clairement (par exemple au début des années 1990 mais aussi entre 2005 et 2010) les difficultés qu’ont les modèles à reproduire fidèlement les fluctuations de court terme. Cela, disent les experts, n’a pas de conséquences sur les tendances de long terme (d’ici à la fin du siècle). En clair : ce n’est pas parce que les températures mesurées nous semblent actuellement dans la fourchette basse dans les simulations numériques qu’elles le resteront jusqu’à la fin du siècle.
Par ailleurs, il serait tout à fait faux de penser que les modèles numériques donnent systématiquement des résultats exagérés par rapport à la réalité. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les simulations de l'évolution de la glace de mer (banquise) arctique, par rapport aux mesures :
Modélisation de l'évolution de la glace de mer arctique (à la fin de l'été) au cours du temps comparée aux mesures effectives (d'après Stroeve et al., 2007)
On voit que le trait rouge (les mesures), s’il continue sur sa lancée, touchera l’axe des abscisses (c'est-à-dire la disparition de la banquise arctique à la fin de l’été) bien avant 2080, la date la plus pessimiste donnée par les modèles utilisés dans le précédent rapport de 2007, sous le pire scénario de développement… De même, si l’on observe l’élévation moyenne du niveau de la mer (provoquée par la fonte des glaciers d’altitude, la fonte des calottes glaciaires et la dilatation thermique due au stockage de chaleur), on voit qu’il n’y a nulle "pause" depuis quinze ans :
En conclusion de ce dernier point (et des autres), nous pouvons donc dire que le réchauffement ne s’est pas arrêté depuis quinze ans. La fonte des glaces est plus rapide que jamais, les océans continuent à monter, de plus en plus de chaleur est stockée dans les océans. Ainsi, en l’état des connaissances, il faut plutôt s’attendre, dans les prochaines années, à une reprise à la hausse des températures de l’atmosphère, lorsque la variabilité naturelle du climat aura cessé d’amortir le phénomène.
Bien sûr, les incertitudes sont nombreuses et aucun scientifique ne s'aventure à jurer qu'aucune surprise n'est à attendre dans les prochaines décennies. Comme le note un climatologue qui n'a pas participé aux travaux du GIEC, un franc refroidissement n'est pas, à court terme, exclu. "Il suffirait d'une grande éruption volcanique, comme celle du Pinatubo en 1991 pour que la pause actuelle se transforme en refroidissement temporaire, fait-il valoir. Les méga-éruptions ne sont pas périodiques mais il y en eu une environ tous les vingt ans sur les derniers siècles et il faut donc s'attendre à une prochaine. On entendra alors certains répéter que les climatologues n'ont pas su prévoir cette baisse éventuelle."
Stéphane Foucart