Emeutes de Béziers: je prends le risque d'un avis
Béziers, la nuit dernière, le moins qu'on puisse dire est qu'ils s'en sont donné à cœur joie.
Violence inouïe, bande organisée, attaque des forces de l'ordre et des pompiers, utilisation d'un lance roquettes, rien que ça, incendies !
Il n'en faut pas plus pour que la bien-pensance se déchaîne, et les habituels silencieux n'ont pas assez de mots pour fustiger et condamner.
Pourtant, au lieu de crier instantanément au loup, au lieu de vitupérer, au lieu d'en appeler au sursaut républicain, demander que sais-je, l'intervention de l'armée, il faudrait s'arrêter un instant, réfléchir et émettre une opinion dénuée de toute haine et de toute agressivité.
Qu'il soit bien entendu que dans ce qui va suivre, je ne cherche pas à excuser, à soutenir, à justifier ce qui a été commis. Mais hurler avec les loups n'est pas dans ma nature et je ne crois pas que quel qu’événement que l'on considère, c'est une faute de ne regarder que lui sans chercher à comprendre quelle en a été la genèse.
Alors, je vais prendre le risque de dire ce que je connais du problème.
37 années à travailler dans ce qu'on appelle aujourd'hui pudiquement un quartier sensible. Tellement sensible, tellement chatouilleux qu'il en est devenu agressif.
Pendant toute cette période d'activité, j'ai pu vivre de l'intérieur l'évolution du quartier. J'ai fait partie de ce qu'on nomme aujourd'hui les « lanceurs d'alerte », à l'époque, on disait les empêcheur de tourner en rond, parfois même les « emmerdeurs ». Voyant évoluer ce quartier vers ce nous pressentions comme une ghettoïsation, elle-même porteuse de risques.
Nous avons dit des milliers de fois que la gestion de ce quartier était irresponsable, qu'elle isolait, stigmatisait et qu'à terme, cette situation générerait de la violence. Inconséquence des Op HLM, regroupement des gens par nationalité, puis, comme je l'ai vu, par ville et même parfois par village. Nous avions l'immeuble des arabes, des turcs, des « jaunes », mais les algériens, les tunisiens, les marocains ne se fréquentaient pas, et les « jaunes ont assez vite quitté le quartier, la vie leur devenant impossible.
Mixité sociale ? Zéro. Présence des services publics ? Après la réforme Sarkozy qui a fermé le poste de police, l'école, tapie au pied des tours était la seule présence de l’État.
Contrairement à ce que beaucoup ont voulu laisser croire, les habitants de ces quartiers ont été les premiers touchés par les vagues de licenciements. Comme me le disait un papa à l'époque, « quand il a fallu faire les sales boulots, on a su nous trouver ! Maintenant, c'est nous qu'on jette les premiers. »
Je vous ferai grâce d'une description de la lente descente aux enfers de ce quartier et de tant d'autres. On a injecté des sommes considérables dans des plans douteux qui alimentaient on ne sait trop quoi, on ne sait trop qui. L'objectif ? Ménager la paix sociale. Surtout pas de bruit, pas de vagues.
La position du pouvoir central était elle plus hypocrite encore. Utiles ces quartiers. Un peu de désordre, ça agace et inquiète le petit bourgeois et ça peut justifier parfois des politiques un tantinet répressives, bien acceptées parce que s'adressant à des gens souvent honnis. Même si à terme, tout un chacun pâtit de cette répression tout azimut.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? La situation a totalement dégénéré, les quartiers ont appris à se passer d 'autorité, de références, la misère s'est répandue, l'abandon est total, alors tout explose.
Nous qui alertions il y a quelques décennies avons malheureusement eu raison trop tôt. Le monstre échappe à ses géniteurs, le jouet est devenu autonome, violent, a eu le temps et les moyens de se doter d'armes et est prêt à s'en servir.
Vous voyez, je ne justifie rien, je dis juste que ceux qui crient le plus fort aujourd'hui sont les mêmes qui ont précipité ces quartiers dans le chaos. Les vrais responsables ce sont eux ! La première violence, c'est eux qui en ont été responsables.
Ces bandes de jeunes violents viennent juste rappeler à la communauté que pendant longtemps, elle les a méprisés, écartés, maltraités, oubliés.
Nous en sommes donc là. Et j'avoue bien humblement que je n'ai pas de solution à proposer. Il est très sympa de parler de reconquérir... Mais quoi et comment ? Qu'a donc la société aujourd'hui à proposer à ces quartiers et aux gens qui y habitent ? Habitat ? Travail ? Loisirs ? Recréer du lien social, générer de la mixité ? Sans doute des voeux pieux ! La catastrophe est patente, et je crois que le pouvoir n'a ni la volonté ni les moyens d'inverser la tendance. Dans une société dont tous les pans se délitent, les quartiers vont eux aussi exploser, mais, et là est le problème, ils semblent avoir décidé à ne pas mourir sans avoir auparavant puni ceux qui naguère les ont plongés dans ce terrible marasme.
Vous avez bien compris je l'espère ce que je veux dire ici, je n'apporte aucun soutien à ces gens, mais je sens que nous récoltons là ce que d'autres ont semé. On peut blâmer, condamner, punir, on ne fera qu'attiser une haine déjà bien ancrée.
Alors, crions, insultons, ça soulage un instant mais ne résoud aucun problème hélas.
Vous me direz que je me contente de fort peu, mais je garde au fond de ma cervelle, cette maigre consolation de faire partie de ceux qui peuvent dire : « on vous l'avait bien dit ! »