A tous les naufragés du monde.
130 morts et 200 disparus aujourd'hui au large de Lampedusa.
Mais combien faudra-t-il de naufrages, de corps abandonnés aux vagues, combien faudra-t-il d’enfants mutilés, humiliés, affamés, enrôlés dans des conflits d’un autre âge. Combien faudra-t-il de ces embarcations frêles qui défient le destin et se brisent à deux pas du rêve. Combien faudra-t-il de caravanes brûlées, pilées, de vêtements semés au vent, de processions désespérées avec pour seul bagage un triste balluchon plein de rancœur.
Combien faudra-t-il qu’il en meure de ces malheureux, parias, affamés, pourchassés, martyrisés, exploités. Combien en regarderons-nous encore s’effondrer sur nos plages, s’étioler au bord de nos routes, repartir tête basse avec un seul objectif, essayer de revenir.
Combien en faudra-t-il encore de ces migrants faméliques, avec pour seul bagage leurs souvenirs et pour seul espoir, ne pas encore mourir. Combien faudra-t-il encore de ces miséreux qui nous parlent du pire du monde, du fond du désespoir.
Ils partent, tournent le dos à ce qu’ils furent, sans espoir de retour. Ils sont sans avenir, sans lendemain, tentent leur chance sur des territoires où on ne les aime pas fatalement. Combien seront-ils encore à s’enfoncer dans l’oubli, à n’être qu’un chiffre dans la longue litanie des naufrages.
Tant de misère et de souffrances aux portes de nos sociétés d’abondance, tant de douleur, de drames, humanité à la dérive, défilé de squelettes tremblants rappelant le plus sinistre d’une autre époque, rejetés partout, acceptés nulle part.
Foule de fantômes en guenilles, sans nom, sans visage, sans voix. Cohorte de destins foudroyés, noyés, ils sombrent dans le silence.
Et nous sommes là, silencieux et immobiles, touchés sans doute mais sans réaction. Tant d’horreur paralyse, défie le sens commun. Sommes-nous humains ? Ces pauvres ères sont notre mauvaise conscience.
Même si nous n’en avons pas conscience, chaque agression, chaque humiliation, chaque blessure, chaque mort nous arrache une part d’humanité. Leur naufrage est notre naufrage…