Question aux pro-gaz de schiste : sont-ils climato-sceptiques ?
Le débat sur les gaz et pétrole de schiste a tendance à se focaliser sur la seule méthode d'extraction, la fracturation hydraulique. Au point que les exigences climatiques sont évincées alors qu'elles imposent d'écarter définitivement toute exploration et exploitation d'hydrocarbures non conventionnels. Les pro-gaz de schiste sont-ils donc climato-sceptiques ?
En 2011, l'exceptionnelle mobilisation citoyenne contre les gaz et pétrole de schiste avait rendu les industriels et lobbyistes gaziers et pétroliers quasiment inaudibles. Depuis, il se sont bien rattrapés. Tout au long de l'année 2012, Christophe de Margerie de Total, Gérard Mestrallet de GDF Suez, Jean Louis Schilansky de l'UFIP (Union Française des Industries Pétrolières) et bien d'autres ont eu antenne et tribune ouvertes sur tous les médias dominants. Dernier en date, France Inter a offert sa matinale, une des plus écoutées de France, au PDG de Total. A chaque fois la même rengaine. Il serait possible d'extraire « proprement » les hydrocarbures de schiste puisque les standards de sureté français permettraient de préserver l'environnement. Au point que de nombreux hommes politiques ont depuis changé de position (voir Encadré ci-dessous).
La France serait même « bénie des Dieux » selon Michel Rocard qui, néanmoins, ne semble pas vraiment avoir compris ce qu'est la fracturation hydraulique. Outre les très significatifs édito pro-gaz de schiste du Monde des 29 février et 26 juillet, ce sontdes dizaines d'articles, reportages, talk-shows qui ont répété en boucle combien l'économie des Etats-Unis était boostée par l'exploitation des hydrocarbures de schiste et qu'il fallait en faire autant en France. Ceci afin de faire baisser le prix de l'énergie, réindustrialiser le pays et créer des dizaines de milliers d'emplois. Le plus souvent c'est sans contradicteur que ces très nombreux éditorialistes et faiseurs d'opinion ont pu asséner leurs arguments identiques tout droit sortis d'éléments de langage stéréotypés. Et sans que ne soit jamais discutée l'opportunité d'extraire ces hydrocarbures au regard des défis climatiques.
Ainsi, le Groupement des entreprises parapétrolières et paragazières et des professionnels du pétrole et du gaz (GEP-AFTP) a récemment identifié quatre types de « risques » liés à l'extraction des gaz et pétrole de schiste : la pollution des sous-sols, l'approvisionnement en eau, la composition des fluides de fracturation et les impacts sociétaux. Les défis climatiques n'y figurent pas. Comme si le réchauffement climatique n'était pas un défi qui touchait les industries pétrolières et gazières. Comme si leurs activités ne favorisaient pas les dérèglements climatiques.
N'est-il pas curieux que les pro-gaz de schiste ne se demandent jamais, publiquement du moins, s'il est bien raisonnable d'envisager d'extraire des pétroles et gaz de schiste alors que les Etats se sont engagés à agir pour ne pas dépasser les 2°C de réchauffement d'ici la fin du siècle ? Peut-être est-ce parce quemêler les deux débats, à savoir « faut-il extraire les pétroles et gaz de schiste » et « que faire pour stopper le réchauffement climatique » revient à clore définitivement le premier. Explications. Il est possible de calculer que 80 % des réserves actuelles d'énergies fossiles ne doivent pas être extraites et consommées avant 2050 si l’on veut avoir une chance sur deux de ne pas dépasser la barre fatidique des 2°C.
Une donne que l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) vient d'ailleurs de confirmer, et donc légitimer, en écrivant dans son dernier rapport que « notre consommation, d'ici à 2050, ne devra pas représenter plus d'un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles ». Il n'y aurait donc aucune raison de poursuivre les explorations et forages pour extraire du pétrole, du gaz ou du charbon toujours plus loin, toujours plus profond et avec toujours plus de conséquences écologiques.Extrêmement coûteuses et dangereuses, les explorations d'hydrocarbures non conventionnels, comme les gaz et pétrole de schiste, ne sont donc pas compatibles avec les objectifs climatiques.
« Oui mais le gaz de schiste est moins émetteur de gaz à effets de serre que le charbon » répondent les lobbies pétroliers et gaziers. Outre le fait que ce n'est pas exact selon des études très sérieuses qui prennent en compte le cycle complet du gaz de schiste et pas seulement la combustion du méthane, cet argument tombe à plat puisque c'est la majorité des réserves conjointes de pétrole, de gaz et de charbon qui doivent être laissées dans le sol. Pas l'une ou l'autre de ces sources d'énergie, toutes et peu importe leurs émissions unitaires relatives.
Alors que le conférence de l'ONU sur le climat se déroule à Doha (Qatar – 26 nov – 7 déc) (voir le décryptage et lecommuniqué d'Attac France), question est donc posée à Ms François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Arnaud Montebourg, François Fillon, Jean-François Copé, et plus largement à tous ceux qui refusent d'écarter définitivement l'extraction de pétrole et gaz de schiste, de savoir s'ils sont climato-sceptiques. Si tel n'est pas le cas, alors il leur faut reconnaître le bien-fondé des recommandations de l'AIE et concéder qu'il n'y a qu'une seule option sensée et raisonnable sur la table, à savoir laisser les gaz et pétrole de schiste dans le sol. Et donc ne pas financer les recherches en cours pour trouver d'hypothétiques autres méthodes que la fracturation hydraulique.
Loin d'être un drame, la décision qui consisterait à déclarer un moratoire général sur toute nouvelle exploration d'hydrocarbures, permettrait de libérer les financements nécessaires à la transition écologique des modèles de production et de consommation. Des politiques de sobriété et d'efficacité énergétiques pourraient voir le jour, et les énergies renouvelables, plutôt que s'additionner aux énergies fossiles et fissiles, pourraient s'y substituer. Soit, une véritable transition énergétique.
Maxime Combes, membre de l'Aitec et d'Attac France, engagé dans le cadre du projet Echo des Alternatives(www.alter-echos.org)
Encadré : La volte-face des politiques
L'intense campagne de relations publiques menée par les industriels et lobbyistes gaziers et pétroliers a provoqué des volte-faces très surprenantes. En 2011, une proposition de loi signée par François Hollande, Jean-Marc Ayrault ou encore Arnaud Montebourg proposait d'interdire définitivement toute exploration et exploitation de gaz et pétrole de schiste. Depuis, si les deux premiers assurent vouloir maintenir l'interdiction de la fracturation hydraulique, ils encouragent les industriels à poursuivre leurs recherches. Le troisième est encore plus clair : « la France doit exploiter son gaz de schiste à l'aide de techniques propres plutôt que de l'importer », alors qu'il affirmait que les gaz de schiste étaient « une fausse bonne idée aux risques écologiques démesurés » lorsqu'il était candidat à la candidature PS. A droite, après avoir fait voter la loi d'interdiction de la fracturation hydraulique en 2011, François Fillon a récemment demandé « la fin du moratoire » tandis que Jean-François Copé s'est prononcé pour des « expérimentations ».