Quelles énergies renouvelables en France en 2050 ?
par François Lempérière, polytechnicien, expert énergie
"Il semble possible à un coût très acceptable de porter à 50% la part renouvelable de l’électricité produite en France en 2050 tout en limitant à 5 ou 10% l’utilisation de gaz et charbon. Ceci nécessite un stockage modéré par pompage, possible essentiellement en mer. Le surcoût en 2050 par rapport à une solution à 80% nucléaire serait de l’ordre de 100 euros par personne et par an, quelques millièmes du P.I.B.
Une solution sans nucléaire est également envisageable en portant à 60% à un coût moyen un peu plus élevé, le renouvelable produit en France si l’on peut aussi importer 200 TWh de courant solaire du Sahara. Mais le surcoût par rapport à une solution 80% nucléaire serait de l’ordre de 300 à 500 euros par personne et par an (1 à 2% du P.I.B. à cette époque). Des études de réalisations offshore et éventuellement des prototypes paraissent justifiés non seulement pour l’éolien mais aussi pour le stockage d’énergie et les usines marémotrices."
Président du comité de réduction du coût des barrages de la CIGB (commission internationale des grands barrages) mais également ex-président de la CFGB (comité français des grands barrages), François Lempérière a participé à la construction d’une vingtaine de grands barrages, canaux et endiguements, notamment sur le Rhône, le Rhin, le Nil et le Zambèze, et à la conception d’une dizaine de ces ouvrages.
Il est lauréat de l’Académie des sciences à Paris pour l’invention du procédé de hausses fusibles (1997), une solution économique pour optimiser la sécurité des barrages et leur capacité de stockage. Aujourd’hui à la retraite, il préside une association à but non lucratif, Hydrocoop, constituée d’experts hydrauliciens français, américains, russes et chinois, et dont l’objectif est de contribuer à la coopération technique internationale dans le domaine hydroélectrique.
"Quelles énergies renouvelables en France en 2050 ?"
François Lempéière, 8 juillet 2008
http://www.hydrocoop.org/fr/publications/Quelles_energies.pdf
"Il existe un consensus pour réduire la consommation globale de pétrole, gaz et charbon, grâce aux économies d’énergie et au développement des énergies renouvelables ; la part de l’énergie nucléaire sous diverses formes est plus controversée. Le coût moyen de l’énergie fossile continuera à augmenter mais il semble possible d’obtenir en France l’énergie nécessaire nucléaire ou renouvelable à un coût très acceptable la consommation d’énergie en France continuera probablement à augmenter, notamment sous la forme d’électricité pour des raisons de production et d’utilisation. Le problème le plus important est donc d’analyser pour quels besoins, sous quelles formes, à quel coût et avec quels impacts on pourra, dans les décennies à venir, produire l’énergie électrique nécessaire.
La consommation électrique française, basée actuellement à près de 80% sur l’énergie nucléaire pourrait atteindre 500 TWh/an en 2020 et 600 en 2050. L’utilisation de gaz ou de charbon devrait fournir moins de 50 TWh/an pour des raisons de coût et de réchauffement climatique. La production hydroélectrique fournie par les barrages, voisine de 60 TWh/an (pour 25 GW de puissance installée et 4 GW d’usines de pompage) restera du même ordre, à un coût résiduel nettement inférieur à 5 cents/KWh (tous les coûts indiqués ci-dessous sont en cents d’euros, actualisés en 2008).L’énergie électrique de la biomasse, de la géothermie, des hydroliennes, des vagues, ne dépassera probablement pas quelques TWh/an. C’est environ 500 TWh/an qui devront être fournis en 2050 par 4 sources à potentiel significatif : nucléaire, éolien, marémotrices, solaire.
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Le nucléaire
L’essentiel du courant électrique français sera fourni en 2020 par le parc nucléaire actuel à un coût inférieur à 5 cents/KWh. Le remplacement de ce parc peut être envisagé de 2015 à 2050 par une même capacité d’EPR à un coût de l’ordre de 5 cents/KWh. Cet exemple sera probablement très suivi dans le monde à la même époque, notamment en Europe et au Japon mais également en Chine qui aura épuisé son charbon bien avant 2050 et aura à cette date besoin de 20 fois l’énergie française. L’énergie nucléaire mondiale sous sa forme actuelle sera donc probablement plafonnée par les ressources en uranium dont le coût augmentera probablement beaucoup, comme actuellement pour le pétrole et le charbon. Et il n’est donc pas exclu que le coût total du KWh EPR soit avant 2050 plus proche de 10 cents que de 5 cents. Il n’est pas évident que la France, qui aura consommé 3% de l’uranium mondial avec son parc actuel, pourra au total consommer 6% de l’uranium mondial pour moins de 1% de la population. Beaucoup d’espoirs sont placés dans l’emploi du thorium et des surgénérateurs mais il y a encore beaucoup d’incertitudes sur ces technologies, leur coût et leur acceptabilité. Il parait donc essentiel d’étudier les trois autres options importantes d’énergies électriques renouvelables que sont en France l’éolien, l’énergie marémotrice et l’énergie solaire et d’évaluer leur potentiel réaliste pour un coût total de l’ordre de 10 cents/KWh.
L’énergie éolienne
Le potentiel français est très important, notamment le long du littoral de la Loire à Dunkerque. Les possibilités offshore y sont favorisées par des profondeurs faibles et une fondation aisée jusqu’à une vingtaine de km de la côte. Des éoliennes de 5 MW peuvent s’y fonder facilement presque partout (par exemple sur des caissons préfabriqués en béton armé de 15 m de hauteur et 20 m de diamètre posés sur le sable) à un coût au KW installé presque constant. La production annuelle par km² est voisine de 25 GWh pour 2 éoliennes. Des champs d’éoliennes situés entre 5 et 20 km de la côte sur 10% du littoral concerné produiraient ainsi 50 TWh/an qui pourraient s’ajouter à une production terrestre du même ordre. Le coût moyen direct sera voisin de 5 cents/KWh. L’inconvénient majeur résultant de l’intermittence de fonctionnement peut être très réduit s’il est possible de stocker 1 à 2 jours de consommation moyenne, c'est-à-dire 300 à 500 GWh pour l’ensemble de la France, pour un surcoût de quelques cents par KWh. Le besoin d’énergie fossile complémentaire correspondante (gaz ou charbon) serait ainsi limité aux longues périodes sans vent à forte demande de courant, c'est-à-dire à 10 ou 20 TWh/an. En l’absence de stockage, cette énergie éolienne intermittente devrait être complétée par une énergie à base de gaz ou charbon au moins équivalente, ce qui n’est pas admissible.
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L’énergie marémotrice
La France est l’un des pays mondiaux les plus favorisés pour l’énergie marémotrice et peut produire, à un coût attractif, dix pour cent de la production mondiale. L’essentiel du potentiel utilisable est situé le long des côtes de la Manche où le marnage moyen dépasse 6 m sur près de 500 km et où les conditions de profondeur et de nature de terrain sont favorables. Les zones de production sont proches de zones d’utilisation ; cette production s’associe bien avec la production hydroélectrique classique située essentiellement dans le Sud de la France. Mais trois problèmes doivent être résolus : le coût, l’intermittence de production, l’impact environnemental.
L’essentiel des réalisations sera en mer sous forme d’îles ou de préférence pour des raisons économiques et de sédimentation, le long de la côte. La technologie des brise-lames et des digues est bien maîtrisée et on peut par exemple construire d’abord des brise-lames classiques protégeant des zones d’eau calme ; les digues peuvent y être construites facilement et économiquement par des engins maritimes puissants utilisant du sable, du gravier ou des matériaux rocheux qui constituent usuellement le terrain en place. Cependant le coût au km des brise-lames et des digues est élevé, pouvant atteindre un total de 50 à 100 millions d’euro/km. Comme le coût est proportionnel à la longueur et la production proportionnelle à la surface, le poids des digues dans le coût du KWh se réduit lorsque la surface augmente et des aménagements rentables nécessitent des bassins de centaines de km². C’est ainsi que des études sont actuellement en cours en Russie sur 2.400 km² avec une marée moyenne de 5 m et en Inde sur 700 km² avec une marée moyenne de 6,50 m. Les groupes bulbes turbo alternateurs qui fonctionnent sur la Rance depuis près de 50 ans peuvent être améliorés et leur puissance unitaire doublée. Une fabrication en grande série et la possibilité d’amener par voie maritime des éléments très lourds devraient également baisser le coût. De nouvelles solutions techniques développées en Russie pour de faibles chutes peuvent être également intéressantes. Il semble donc possible pour de grands aménagements d’atteindre un coût au KWh inférieur à 10 cents. De nombreuses solutions ont été étudiées pour la gestion des bassins :
- Une solution utilisant un bassin très haut et un bassin très bas, avec pompage, permet une production continue (VHALS).
- Une solution avec un seul bassin opérant dans les deux sens fournit du courant 2 x 4 heures par marée de 12 heures. Elle peut être complétée par un stockage de quelques heures. Cette solution a l’avantage de maintenir dans les bassins un cycle et une amplitude de marées proches des conditions naturelles avec décalage de trois heures ; c’est donc une solution préférable en dehors des zones de falaise. L’utilisation de grands bassins réduit beaucoup l’impact visuel, les digues, de 10 m de hauteur maximale se trouvent à une dizaine de km de la côte. L’impact semble alors favorable avec suppression des tempêtes et des hautes mers exceptionnelles et facilités pour l’aquaculture et le tourisme.
Ces grands aménagements marémoteurs peuvent être associés à l’énergie éolienne en utilisant en partie les mêmes sites et les mêmes stockages d’énergie. Comme exemples de réalisation, on a représenté sommairement sur le plan 1 ci-joint, trois grands aménagements :
- Un premier aménagement de part et d’autre de Dieppe, totalisant 500 km², situé essentiellement dans les zones de falaise dont on arrêterait ainsi le recul progressif. L’emploi d’un double bassin VHALS y est envisageable. On peut également y associer un parc très important d’éoliennes. Cet aménagement pourrait être réalisé d’ici 2020.
- Un bassin unique de 500 km² dans le golfe de Saint-Brieuc, la digue se trouvant pour l’essentiel à 15 km de la côte, donc très peu visible. On peut éventuellement y associer des parcs d’éoliennes entre 5 et 15 km de la côte. Cette réalisation pourrait par exemple être mise en service vers 2030.
- Un bassin de plus de 1.000 km² englobant les Iles Chausey, avec une digue unique enracinée à l’Ouest de Cancale et au Nord de Granville qui peut paraître a priori une réalisation provocatrice dans une zone touristique ultra sensible. L’impact visuel serait en fait très faible, la digue étant à 35 km du Mont St Michel et à10 km à l’Ouest de la Grande Ile de Chausey. Le cycle des marées et les niveaux d’eau seraient maintenus avec décalage de trois heures. La suppression des tempêtes, des marées noires, des hautes eaux exceptionnelles et de l’ensablement n’est pas une catastrophe. Une réalisation vers 2040 laisserait le temps à toutes études et concertations nécessaires. Ce site ne comporterait pas d’éoliennes. L’ensemble de ces trois aménagements permettrait la production de près de 100 TWh d’énergie marémotrice et quelques dizaines de TWh d’énergie éolienne, pour une longueur totale de digues de 200 km, soit un investissement de digues par KWh annuel entre 0,1 et 0,2€. L’investissement des usines est de l’ordre de 0,5 € par KWh, si on se réfère aux dernières réalisations coréennes. En ajoutant un stockage partiel, on arrivera à un coût total inférieur à 10 cents/KWh, pour un courant bien adapté à la demande, y compris aux heures de pointe, c'est-à-dire un très bon complément de l’énergie nucléaire pour un coût peut-être assez proche en 2050.
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L’électricité solaire
Une production justifiée économiquement semble limitée à 20 ou 30% du territoire. L’utilisation individuelle par panneaux photovoltaïques ne devrait pas au total dépasser 10 TWh/an (5 millions d’utilisateurs à 2.000 KWh/an) et la production principale pourrait surtout provenir d’usines importantes utilisant miroirs et vapeur. Une production totale de 50 TWh/an parait envisageable, nécessitant 500 à 1.000 km², c'est-à-dire 0,5% de la surface des départements concernés. Un coût direct de l’ordre de 10 cents/KWh parait probable dans 10 ou 20 ans. Il serait à majorer de quelques cents pour le stockage. Il est très possible que du courant électrique solaire produit au Sahara à un prix très inférieur, associé à un stockage réduit et à un complément d’utilisation de gaz soit compétitif dans 20 ou 30 ans, le coût du transport ne dépassant pas le gain à la production. Possibilités globales et besoins de stockage
Il semble possible, en 2050, de produire en France environ 50% de l’électricité par des énergies renouvelables :
Hydroélectricité classique 60 TWh
Eoliennes 100 TWh
Marémotrices 100 TWh
Solaire et divers 50 TWh
310 TWh/an dont près de 250 TWh d’énergie intermittente nécessitant un stockage pour éviter le recours à une énergie au moins équivalente de combustible fossile.
Le seul stockage à l’échelle des besoins est basé sur le pompage entre 2 lacs. Les besoins de stockage sont assez faibles dans la moitié Sud de la France correspondant à 20TWh d’éolien terrestre et 50 TWh de solaire. Un stockage de 2 jours d’éolien et 1 jour de solaire qui peut être en partie commun ne nécessite qu’environ 200 GWh. Ce stockage peut probablement être assuré en grande partie par des stations de pompage terrestres existantes ou à créer. La souplesse d’utilisation de l’hydroélectricité classique peut aussi dans cette zone contribuer à la solution. Une station en mer de 50 à 100 GWh peut cependant être envisagée. Les besoins sont plus importants dans le Nord, essentiellement le long de la Manche, pour 80TWh d’éolien et 100 Twh de marémotrices. Le stockage souhaitable commun aux 2 énergies parait de l’ordre de 1 à 2 jours pour l’éolien, et une dizaine d’heures pour les marémotrices et permettrait également de transférer de la nuit vers les heures de pointe une partie de l’énergie. Un stockage total de 300 à 400 Gwh parait raisonnable, réparti en 3 à 5 sites. Des sites en mer ou à la côte semblent la seule solution, la mer étant utilisée comme l’un des bassins. Il est techniquement et économiquement possible de créer des bassins hauts terrestres : il parait préférable d’éviter cette solution qui pourrait cependant être utilisée pour des bassins de quelques km² stockant quelques dizaines de GWh dans des zones de falaises. L’essentiel du stockage peut se faire par des îles ou des aménagements à la côte comportant un bassin haut de 20 à 50 km² et utilisant la mer comme bassin bas. Pour un bassin pouvant stocker par exemple entre 30 et 50 m au-dessus de la mer, l’énergie emmagasinée par km² sous une charge moyenne de 40 m est (en GWh) 20 x 106 x 40 x 0,9 x g / 3. 600 voisine de 2 GWh *
Un bassin à 70 m au-dessus de la mer stocke le double et parait plus rentable. Les dispositions représentées sous la figure 2 jointe peuvent par exemple être utilisées pour les emplacements suggérés sur la figure 1 :
- Deux îles, éventuellement proche de la côte de part et d’autre du Cotentin
- Un site adossé à la falaise à l’Est de Fécamp pour une surface totale de l’ordre de 100 km².
Une île plus petite peut être envisageable au Nord ou au Sud de l’estuaire de la Loire.
L’investissement total correspondant à 350 GWh stockés, y compris 20 GW de capacité de pompage, est de l’ordre de 30 milliards d’euros, à réaliser en une trentaine d’années, permettant 180 TWh d’énergies renouvelables, pour un coût du stockage de l’ordre de 2 cents au KWh.
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Conclusion
Il semble possible à un coût très acceptable de porter à 50% la part renouvelable de l’électricité produite en France en 2050 tout en limitant à 5 ou 10% l’utilisation de gaz et charbon. Ceci nécessite un stockage modéré par pompage, possible essentiellement en mer. Le surcoût en 2050 par rapport à une solution à 80% nucléaire serait de l’ordre de 100 euros par personne et par an, quelques millièmes du P.I.B. Une solution sans nucléaire est également envisageable en portant à 60% à un coût moyen un peu plus élevé, le renouvelable produit en France si l’on peut aussi importer 200 TWh de courant solaire du Sahara. Mais le surcoût par rapport à une solution 80% nucléaire serait de
l’ordre de 300 à 500 euros par personne et par an (1 à 2% du P.I.B. à cette époque). Des études de réalisations offshore et éventuellement des prototypes paraissent justifiés non seulement pour l’éolien mais aussi pour le stockage d’énergie et les usines marémotrices.