Marché transatlantique UE-Etats-Unis : François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont dit
Un marche de dupes
Le 15 juin 2013, sous la plume de Thierry Brun, Politis nous prévenait que François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont dit oui au Marché transatlantique entre l’Union européenne et les états-Unis.
réparé dans le secret, une version quasi définitive du mandat de la Commission européenne pour négocier un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) entre l’Union européenne (UE) et les états-Unis, datée du 21 mai, a été récemment dévoilée par le blog netzpolitik.org. Cette version consacre plusieurs paragraphes à un processus redoutable, nommé « règlement des différends » entre investisseur privé et État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS). Cet arbitrage commercial international permet aux puissantes multinationales de contourner les tribunaux classiques respectueux de la souveraineté des États et de leurs droits nationaux, notamment sur la protection de l’environnement.
Dans les dernières lignes du mandat de la Commission, sous le chapitre intitulé : « Cadre institutionnel et dispositions finales », il est indiqué que l’accord de libre échange entre l’UE et les États-Unis « comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié ». Ainsi, cette procédure initiée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et son successeur, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) « devrait fournir aux investisseurs un large éventail d’arbitrages actuellement disponibles en vertu d’accords bilatéraux d’investissement des États membres ».
Souvent utilisé dans les accords bilatéraux, ce type d’arbitrage est un formidable levier pour les multinationales qui ont leurs entrées au sein de la Commission européenne. « Un pas de géant sera franchi vers la dépossession de notre destin, un recul de plus, considérable, de la démocratie, dont ne profiteront que les firmes américano-européennes. C’est la fin de tout espoir d’une Europe européenne », explique Raoul Marc Jennar, spécialiste des accords commerciaux internationaux, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne (GUE), de 2005 à 2007.
La proposition de Partenariat transatlantique entre l’UE et les États-Unis « va ouvrir les vannes à des poursuites de plusieurs millions d’euros par de grandes entreprises qui contestent des politiques démocratiques visant à protéger l’environnement et la santé publique », souligne un récent rapport de Corporate Europe Observatory et du Transnational Institute.
Le rapport révèle une campagne déterminée de lobbying menée par les groupes de pression de l’industrie et des cabinets juridiques afin d’accorder des droits sans précédent aux entreprises, leur permettant de poursuivre des gouvernements pour des législations ou réglementations qui interfèreraient avec leurs profits. Il met en évidence le programme agressif du géant états-unien de l’énergie Chevron sur cette question du règlement des différends investisseur-État : « Chevron a déjà utilisé des mécanismes similaires afin d’essayer d’éviter de payer 18 milliards de dollars en réparation d’une pollution pétrolière en Amazonie. Il en appelle maintenant à "la plus forte protection possible" vis-à-vis des mesures gouvernementales européennes qui pourraient interférer avec ses investissements dans de grands projets énergétiques, dont la fracturation hydraulique, ou fracking, pour l’extraction des gaz de schiste », préviennent les deux ONG.
Le 13 juin 2013, la Confédération paysanne, Attac France, Agir pour l’environnement, la Fondation Copernic, Nature et Progrès, l’Union syndicale Solidaires, Minga, France Amérique latine, Artisans du monde, le Mouvement régional des Amap, les faucheurs volontaires d’OGM, Adéquations, OGM en danger, Combat Monsanto, Veille au grain, Solidarité, et quelques autres ont publié un communiqué pour dénoncer le projet et exiger un référendum sur le principe de ce GMT avant même toute ouverture de négociations officielles avec les étas-Unis. Ces opposants font majoritairement partie de la gauche, mais le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, pour lequel ils ont voté en majorité, n’a exprimé aucune réserve sur ce projet. Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, représentant le gouvernement au conseil des ministres européen, au cours duquel le mandat de la Commission devrait être validé, estime qu’on « ne peut être que favorable » au projet de partenariat transatlantique. Pourtant, la commission des Affaires européennes au Sénat, dans un rapport daté du 15 mai qui a analysé la recommandation de la Commission européenne proposée le 13 mars au Conseil européen, a mis en garde le gouvernement car 518 différends investisseur-État ont été recensés en 2012, impliquant des millions de dollars et sapant, dans de nombreux cas, des politiques démocratiques.
« 62 nouvelles plaintes ont été déposées en 2012. Il s’agit du nombre le plus élevé d’actions connues intentées au titre d’un accord international d’investissement (AII) en une année, ce qui confirme la tendance croissante des investisseurs étrangers à recourir aux mécanismes d’arbitrage pour régler les différends les opposant aux États », a déclaré la Cnuced.
Et le Corporate Europe Observatory tout comme le Transnational Institute donnent pour exemples : « En Uruguay comme en Australie, le géant du tabac Philip Morris, basé aux États-Unis, a mené des poursuites contre les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ; la multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall réclame 3,7 milliards d’Euros à l’Allemagne suite à la décision démocratique d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire ; et la société états-unienne Lone Pine poursuit le Canada à hauteur de 250 millions de dollars concernant un moratoire sur l’extraction (fracturation) controversée du gaz de schiste au Québec », et il en existe bien d’autres.
Malgré cela, il n’y a pas eu de veto français, bien au contraire, la France a donné son plein accord pour l’ouverture des négociations sur le libre-échange et les états-Unis.
Le très libéral Commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht s’est réjoui du feu vert des états membres, y compris sur les services audiovisuels. Il a d’abord déclaré être « ravi que le Conseil a décidé le 14 juin de donner à la Commission européenne le feu vert pour commencer les négociations » autour d’un accord de libre-échange avec les états-Unis, ce que les technocrates de la Commission ont nommé le « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ».
Si un accord est conclu avec les états-Unis, les multinationales pourront protéger leurs investissements en utilisant cette procédure d’arbitrage privée nommée « règlement des différends investisseur-Etat », et ainsi lever les barrières juridiques dans les secteurs convoités.
Pour que cette négociation puisse aboutir il est nécessaire que les Européens renoncent à une partie de leurs normes, qu’elles soient juridiques, financières, sanitaires, environnementales, culturelles. Or l’Europe a tout à perdre et rien à gagner dans cette négociation bien que la Commission estime qu’une libéralisation totale des échanges permettra de dégager un surplus de croissance pour l’Union de 0,5% du PIB. Et notre gouvernement actuel ajoute : « De plus, nous avons consulté nos entreprises et elles sont très demandeuses ».
Quant aux Américains, ils ont tout à gagner en la matière, aussi bien dans le domaine des normes sanitaires et phytosanitaires, qu’avec leurs produits actuellement interdits en Europe, des OGM au bœuf aux hormones en passant par la viande à la ractopamine ou le poulet à la chlorine. Pour le sénateur démocrate Max Baucus « les produits des ranchers et fermiers américains sont les meilleurs au monde ». Demetrios Marantis, le responsable américain du commerce, réclame donc des « standards internationaux scientifiques », par opposition à ceux de l’Union jugés « non scientifiques » par le Congrès, et s’engage à « permettre plus d’exportations des produits cultivés et élevés en Amérique ».
Si les États n’ont pas le courage de s’opposer à un accord qui bradera une partie de l’acquis européen, les opinions publiques pourraient et surtout « devraient » le faire à leur place, comme l’a montré, le 4 juillet 2012, le rejet par le Parlement européen de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) parce qu’il ne respectait pas les droits fondamentaux.
Une fois de plus nous constatons la soumission des États aux lobbies qui mènent le monde, malgré leurs protestations et leur affirmation de « moi Président » Je ferai… » Ils ne font rien d’utile, seulement des diversions qui n’intéressent pas grand monde et ont peu de rapport avec la véritable démocratie. Nous sommes bien dirigés par une république bananière.
Sylvie Simon