Les médias et les gueux.
Une analyse magistrale du traitement médiatique des réformes Juppé et du mouvement social de 1995. Bien entendu, vous êtes autorisés à faire le rapprochement avec la situation présente et en déduire la permanence du rôle de soutien oligarchique des médias. Prenez le temps de lire, ça en vaut vraiment la peine.
ette lobotomie avait duré près de quinze ans : les élites françaises et leurs relais médiatiques pouvaient estimer qu’ils touchaient au but. Ils avaient chanté « Vive la crise », célébré l’Europe et la modernité, conjugué des alternances sans changement, embastillé la justice sociale dans le cercle de la raison capitaliste. Et pendant qu’allait s’opérer le grand ajustement structurel qui enfin dépouillerait la France de son reliquat d’archaïsme et d’irrationalité, plus rien ne devait bouger. D’ailleurs la gauche de gouvernement s’était depuis longtemps ralliée, les syndicats affaiblis, les intellectuels de cour et d’écran laissés séduire par une société qui leur permettait de naviguer sereinement d’un colloque à une commission en attendant de gagner le soir de l’argent en dormant. C’était il y a deux mois.
Et puis, M. Juppé parla. Le fond de sa « réforme » importe peu : il s’agissait une fois encore de mener « la seule politique possible », c’est-à-dire de faire payer les salariés. Sans trop se soucier de cohérence — les médias assureraient la mise en musique idéologique —, M. Juppé prétexta simultanément de son désir d’assurer la défense de la protection sociale et d’éviter la défiance des marchés financiers.
Diagnostic connu (la « faillite »), thérapeutique prévisible (les « sacrifices »), dialectique familière ( « équité » et modernité), le succès aurait dû être aussi assuré que ceux des plans précédents. Presque aussitôt, Françoise Giroud, Bernard-Henri Lévy, Jean Daniel, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Raymond Barre, le Wall Street Journal, Alain Duhamel, Libération, Alain Touraine, etc., tous approuvèrent un plan à la fois « courageux », « cohérent », « ambitieux », « novateur » et « pragmatique ».
Dans la foulée des scribes, les spéculateurs ( « les marchés ») furent eux aussi séduits. L’affaire semblait entendue : après six mois d’impairs personnels et de tâtonnements politiques, le premier ministre français venait de prouver sa mesure. Et « Juppé II » ou « Juppé l’audace » — comme titrèrent à la fois le quotidien de Serge July et celui de Rupert Murdoch (1) — occupa dans le cœur des journalistes de marché la place laissée vacante par MM. Barre, Bérégovoy et Balladur.
Mais on ne se défie jamais assez des gueux.
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