Le politique ne fonctionne plus à cause de l’échec de l’économique
ONTRÉAL —
Professeur titulaire à l’École des hautes études commerciales (HEC) de Montréal, Omar Aktouf n’hésite pas à bousculer cette institution au sein même de ses cours. Celui qui fait figure de mouton noir dans l’antichambre de la finance a récemment signé un chapitre dans le livre Université inc., publié chez Lux Éditeur. Il y décrit les tenants et aboutissants de la privatisation de l’éducation, et les intérêts qui sont en jeu dans le désengagement de l’État incarnée par la hausse des frais de scolarité.
Ce phénomène, qui a poussé 200 000 personnes à prendre la rue le 22 mars dernier, il le situe dans l’enjeu plus large de la confiscation du bien commun par une élite financière oligarchique qui contrôle aussi bien l’État que les médias de masse. Nous entamons ici la publication d’une série de textes que le professeur Aktouf a envoyé aux médias de masse et qu’ils ont refusé de publier. Ce premier texte a été écrit au printemps 2011.
Coup de tonnerre sur les bourses et les esprits: l’agence Standard & Poor’s menace de décoter les USA pour sa colossale dette. La planète finance revient au business as usual, faramineux bonis aux traders et profits en hausses, alors que les politiciens de tous bords ne savent plus que faire, répétant lamentablement les mêmes litanies de «reprises», de «relances»… prêtant l’oreille aux habituelles officines économiques totalement dépassées depuis la crise de 2008.
«Droites» et «gauches» un peu partout, adoptent des positions «centristes», (paraître plus ‘social’, ou plus ‘pragmatique-économique’) ou se «libertarisent» en poussant plus avant les dogmes néolibéraux, comme le régime Harper. Hélas, les dernières années montrent que rien ne fonctionne: les crises métastasent (de USA à Grèce, Espagne, Portugal…), aucune «politique» ne semble en mesure de sortir notre monde du marasme, aggravé depuis 2008. Cela parce que l’idéologie économique dominante a atteint ses ultimes limites.
Quatre raisons sont à l’origine de cette situation. La première est que tout l’édifice économique néoclassique, devenu néolibéral, est avant tout basé sur la prémisse insoutenable qu’il peut y avoir croissance infinie. Nul n’est besoin de savantes démonstrations pour comprendre que dans le monde fini qu’est le nôtre, il ne saurait exister quoi que ce soit d’infini. Nul ne peut réaliser d’infinis profits sur l’exploitation de forêts infinies, ni de bancs de morues infinis. Notre planète ne donne rien de maximum ni d’infini. L’idée de «croissance permanente» ne se peut que si l’on accepte celle de destruction permanente : les «profits» impliquent désormais, globalement, moins de qualité de vie, d’emploi, de santé de la nature… et plus de spéculations financières donnant les résultats que l’on sait depuis 2008.
La seconde cause réside dans le fait que la biologie nous enseigne que la nature « fonctionne » selon la loi incontournable des équilibres stationnaires et des boucles de rétroactions négatives. Ainsi, si nous prenons un bosquet avec loups et lièvres, cette loi implique que les populations de ces deux espèces évoluent entre deux seuils : celui où les loups dépassent la capacité de reproduction des lièvres et celui où les lièvres permettent aux loups de se nourrir et se reproduire. Rien d’infini, rien de maximum. Il ne viendra à l’idée d’aucun loup de « lancer une entreprise » pour capturer le maximum de lièvres, sous hypothèse que leur croissance est constante! Le premier loup venu comprendrait que ce serait là, à terme bref, la fin des loups eux-mêmes.
La troisième cause touche aux lois de l’énergie. En effet, la thermodynamique montre (principe d’entropie) que nous ne faisons que dégrader l’énergie qui est, en termes utilisables, constante à l’échelle de l’univers. Nul ne saurait «fabriquer» du pétrole, du gaz naturel ou de la houille! Nous ne pouvons que les utiliser. Toute autre forme d’énergie devient «liée» (non utilisable directement comme les énergies fossiles), nécessitant une autre énergie avant d’être utile: panneaux pour l’énergie solaire, centrales nucléaires pour celle de l’atome… ce à quoi il faut ajouter l’énergie nécessaire pour contrôler les conséquences d’usage des énergies liées: déchets et accidents nucléaires par exemple avec leurs retombées inestimables sur la nature, l’air, l’eau, la santé... C’est la non-durabilité et la fuite en avant vers des sources d’énergie de plus en plus… énergivores et destructrices.
Enfin la quatrième concerne la financiarisation de l’économie. La crise de 2008 a montré la différence entre économie réelle et économie virtuelle. On s’est mis à parler de «capitalisme financier» et de ses «débordements». Il s’agit de l’inévitable transformation de pans entiers de l’économie réelle en économie de spéculation (croissance oblige). Les profits continus-maximaux ne sont pratiquement que bricolages financiers et produits dérivés, de bulles en bulles, jusqu’aux subprimes en 2008.