Le pape, la dictature argentine: de quelle complicité parle-t-on?
L’accusation de complicité entre le nouveau pape et la dictature argentine fait quasiment toutes les unes.
Peut-être n’est-il pas inutile de faire un petit retour sur cette époque.
Notons tout d’abord que celui qui est aujourd’hui pape n’était alors (en 1976 rappelons-le) que prêtre. A la différence de ceux qui, aujourd’hui, courageusement à l’abri, donnent des leçons d’héroïsme, lui était en Argentine.
On peut discuter du niveau de compromission de l’église, mais charger seulement un de ses membres est peut-être excessif.
Quelques petits rappels sur cette effroyable période de la dictature de Videla devraient nous aider à affiner notre analyse.
En 1976, le pouvoir d’Isabel Peron vacille. D’un côté, des généraux d’extrême droite, de l’autre, la CGT argentine. Comme à d’autres occasions, les USA qui ont la paranoïa facile dès qu’il s’agit de l’évolution de l’Amérique latine, les USA dis-je craignent l’accession au pouvoir d’une gauche péroniste et d’un effet de boule de neige possible sur tout le continent. Leur choix ne surprend personne, les militaires prennent donc le pouvoir au mois de mars 1976.
Les donneurs de leçons d’aujourd’hui se souviennent-ils de ce que fut « l’opération Condor », des escadrons de la mort qui éliminent cadres du PC, syndicalistes, et tout ce qui apparaît « de gauche ». Après quelques soubresauts le général Videla prend le pouvoir.
Et là vont se manifester les vraies complicités
Videla désirant s’émanciper autant que faire ce peut des USA se tourne vers l’ennemi éternel l’URSS. Videla signe avec Brejnev un accord qui lui permet de vendre son blé à l’URSS.
Plus grave, sur le plan militaire, la France se distingue. Giscard d’Estaing vend à l’Argentine le « top » de notre technologie militaire principalement des missiles « exocet ».
Alors que la répression s’exerce tous azimuts, frappant sauvagement la gauche, mais également les libéraux, les démocrates chrétiens, certains jésuites qui prônent « la théologie de la libération ». Le pape actuel ne semble pas s’être rallié à cette théorie, en est-il pour cela l’horrible complice qu’on nous décrit ?
Est-il plus compromis que la FIFA qui offre la coupe du monde de football à l’Argentine ? Plus compromis que tous les joueurs qui participent sans états d’âme à une compétition qui légitime la dictature ? Plus compromis que la fédération française qui reste sourde aux appels au boycott ?
Est-il plus compromis que le PCF qui déclare que « le régime des militaires argentins évolue positivement. Leurs intérêts nationaux convergent avec ceux de Cuba, du camp socialiste et des peuples en lutte contre l’impérialisme américain. Boycotter la Coupe du Monde, ce serait rendre service aux milieux impérialistes de Washington… ». Et faut-il rappeler que lors de l’invasion des malouines, le journal l’Humanité dénonce « l’agression britannique » et défend ouvertement le régime du général Videla.
Rappelons ici que la défaite des malouines précipitera sans doute la fin de la dictature.
En résumé, Ce prêtre qui ne deviendra le chef de l’église argentine qu’en 1998 peut-il être accusé à ce point de compromission ? Plus compromis que les russes qui ont commercé sans vergogne, que les sportifs qui jouaient au foot à deux pas des geôles et des centres de torture, que les médias qui faisaient silence, que Giscard d’Estaing qui vendaient des armes à la junte ?
Alors, sans chercher à être un soutien du pape actuel, je voudrais juste un peu plus de mesure et d’objectivité. Il est de bon ton de « tomber à bras raccourcis » sur tout ce qui touche à la religion, et je fais souvent partie des critiques, mais dans ce cas précis, la complicité et le silence de beaucoup pendant ces années sombres devraient à minima les conduire à plus de mesure.