Fessenheim fermée en 2016 ? La promesse du ministre de l'Écologie est intenable
Par Corinne Lepage
Eurodéputée
Certes, le nouveau ministre de l’Écologie Philippe Martin a rappelé avec force sa volonté de fermer Fessenheim en 2016. Et a priori, personne ne peut mettre en doute sa volonté.
Il n’en reste pas moins que celle-ci ne suffira pas, en raison du choix initial fait par Delphine Batho, ou fait par la direction de l’énergie du ministère de l’Écologie et validé par Delphine Batho de s’opposer à la fermeture judiciaire de Fessenheim.
En effet, en se battant aux côtés de l’autorité de sûreté nucléaire pour obtenir le rejet, par un arrêt qui n’honore pas le conseil d’État, de la demande formulée par plus de 100 collectivités locales allemandes, suisses et françaises représentants 800.000 personnes vivant au voisinage de la centrale nucléaire, le ministère de l’Écologie a très clairement joué contre son camp.
4 à 5 ans nécessaires pour fermer une centrale
Rappelons tout d’abord que l’autorité de sûreté nucléaire considère elle-même qu’il faut cinq ans pour fermer une centrale nucléaire, et Monsieur Rol-Tanguy, délégué à la fermeture de Fessenheim, considère qu’il en faut quatre.
Ceci signifie que même dans le meilleur des cas, ce qui n’est de loin pas l’hypothèse réelle, Fessenheim ne peut pas fermer avant la fin de l’année 2017, voire 2018.
En réalité, si le gouvernement avait voulu fermer Fessenheim avant la fin du quinquennat, il fallait lancer le dossier de fermeture dès juillet 2012, organiser un fonctionnement temporaire avec le minimum de travaux nécessaires, voire arrêter la production durant la phase de préparation du dossier de fermeture afin d’éviter des dépenses parfaitement inutiles pour une centrale qui devait fermer.
À partir du moment où c’est la date de fin 2016 qui a été retenue et que la procédure de fermeture n’a pas été lancée immédiatement, l’effectivité de la fermeture devient aléatoire.
Lorsque l’on sait qu’EDF s’apprête à lancer une enquête publique dans le courant de l’année 2014 pour faire enfin régulariser ces autorisations de rejet qui sont soit absentes, soit totalement obsolètes (Fessenheim est la seule centrale nucléaire de France à fonctionner sur la base d’arrêtés de rejets radioactifs liquides et gazeux datant de 1977), et que parallèlement aucun dossier d’instruction d’une demande de fermeture n’a été lancée pour donner lieu à une enquête publique, chacun peut comprendre qu’il n’y a que bien peu d’espoir sur le plan procédural qu’une fermeture puisse être signée avant la fin du quinquennat.
Un ministère de l’Écologie qui joue contre son camp
Il en va d’autant plus ainsi que Monsieur Rol-Tanguy a été empêché d’entrer dans la centrale pour pouvoir y effectuer sa mission, en raison de l’opposition du syndicat CGT et, bien évidemment, de la direction d’EDF qui n’a rien fait pour permettre aux représentants de l’État d’engager la procédure dont il était chargé.
Si la direction d’EDF, dont on rappelle qu’il s’agit d’une société possédée à 80% par l’État, a pris cette position, c’était en fait qu’elle était convaincue qu’elle ne risquait rien dans la mesure où la fameuse fermeture ne pouvait intervenir dans les délais requis.
La seule manière qu’avait l’État d’exécuter la décision du président de la République, décision prise en raison de l’ancienneté et du risque sismique de la centrale de Fessenheim, était de reconnaître cette situation et de ne pas s’opposer à la demande de fermeture formulée par les collectivités territoriales.
Cette stratégie aurait conduit à conclure qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande formulée par les collectivités françaises, suisses et allemandes, dans la mesure où la décision de fermeture avait été prise. Dans ce cas, le Conseil d’État en aurait pris acte et la décision de fermeture aurait été en quelque sorte avalisée par le juge.
En prenant la position contraire, le ministère de l’Écologie a évidemment joué contre son camp et rendu très difficile une disposition législative spécifique concernant Fessenheim. Il a joué contre son camp en faisant juger qu’aucune décision administrative de fermeture n’avait été prise et qu’en conséquence l’annonce n’avait aucune valeur juridique.
Sur le plan du droit, c’est juste. Sur le plan de la lisibilité et de la volonté politique, c’est catastrophique.
Une stratégie lourde de conséquences financières
En second lieu, il a fait juger qu’aucun risque ne justifiait la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. Même si cette affirmation est contraire à l’évidence, elle est la parole du juge.
Deux conséquences en découlent :
1. D’une part EDF et ses partenaires financiers peuvent revendiquer un droit à fonctionner, et donc un droit à être indemnisés. Autrement dit, la stratégie choisie par le ministère est lourde de conséquences financières pour le contribuable et, dans le contexte budgétaire actuel, constitue un inconvénient majeur.
2. D’autre part, la loi sur la transition énergétique pourra bien évidemment prévoir la réduction du parc nucléaire à 50% en 2025 (à condition qu’elle soit votée ce qui n’est de loin pas évident).
En revanche, il apparaît très difficile qu’une disposition spécifique prévoit la fermeture de Fessenheim dans la mesure où on voit mal comment elle pourrait être justifiée.
En effet, le gouvernement ne pourra pas arguer du danger de la mesure alors qu’il a fait juger du contraire. Une telle disposition non justifiée par le législateur aurait évidemment toutes les chances d’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
La méthode Coué ne suffira pas face à un lobby aussi déterminé
On ne peut malheureusement que regretter que les lois votées soient rédigées dans des conditions de plus en plus aléatoires et éloignées des bases constitutionnelles de telle sorte qu’elles se heurtent à la sanction inévitable du juge. Logiquement, le législateur devrait déterminer les critères servant aux choix prioritaires de fermeture.
En fonction de ces critères, le pouvoir réglementaire devrait déterminer après étude d’impact les centrales à fermer en priorité ; ce n’est que dans ce troisième temps que le dossier de fermeture pourrait être instruit.
Si telle était la procédure suivie, il est clair que non seulement Fessenheim pourrait ne pas être la première centrale au regard des risques présentés par Tricastin ou Bugey, mais de surcroît, même si elle l’était, la procédure ne pourrait être engagée au mieux à la fin de l’année 2015 ou au début de l’année 2016 rendant de facto impossible la fermeture pour la fin 2016.
Pour toutes ces raisons, même si le ministre est de bonne volonté, la méthode Coué ne suffira pas au regard d’un lobby aussi déterminé et aussi puissant que le lobby nucléaire.
Le droit est aujourd’hui du côté d’EDF
Pour lui, en effet, la non fermeture de la centrale de Fessenheim a valeur de symbole. EDF n’a absolument pas besoin de cette centrale pour fournir de l’électricité à la France ni même à l’Alsace. Mais, EDF veut absolument pousser la durée de ses centrales à 60 ans.
Dans cette perspective, il est impératif qu’aucune centrale ne ferme jusqu’à ce que cet objectif soit atteint. EDF joue donc sur la durée en espérant un changement de président de la République en 2017 qui revienne sur l’engagement pris par François Hollande. C’est la raison pour laquelle EDF se battra de toutes ses forces pour qu’aucune décision de fermeture n’intervienne avant la fin du quinquennat.
Or, le droit est aujourd’hui du côté d’EDF qui ne prendra jamais l’initiative du dépôt d’une demande de fermeture, ce que le code de l’environnement permet, et qui retardera le plus possible la soumission à une norme obligatoire qui l’obligerait à engager la procédure de fermeture.
Dans ces conditions, la fermeté du ministre apparaît plus comme un gage donné à EELV pour continuer à faire comme si la seule mesure concrète sur le nucléaire restait d’actualité, comme une posture, que comme l’affirmation d’une capacité de faire.
De manière paradoxale, bien au contraire, ce gouvernement pourrait à la fin du quinquennat être celui qui a permis la prolongation de la vie de Fessenheim, puisque l’ASN a rendu possible l’exploitation jusqu’en 2022, que le gouvernement a autorisé les travaux de confortation du site et qu’il a fait juger que cette centrale ne présentait pas des risques qui justifiaient sa fermeture.
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