Emmanuel Macron sera encore un autre président français raté
Comme on ne peut pas trouver pareille analyse dans les médias français, j'ai traduit cet article du New York Times qui nous dépeint un Macron loin de la dithyrambe habituelle.
e président français Emmanuel Macron est le nouvel artisan du libéralisme. Salué comme la réponse à la vague populiste en Europe, il a relancé la diplomatie française en affrontant le président Trump et le président russe Vladimir Poutine. La "méthode Macron", comme le prétend un groupe de réflexion européen de premier plan, est la nouvelle Troisième Voie, trouvant son chemin entre technocratie et populisme.
Chez nous, en France, c'est une histoire très différente. Un sondage récent a révélé que la popularité de M. Macron avait chuté de 14 points en août, après une chute de 10 points en juillet. Seulement 40% des personnes interrogées se sont dites satisfaites des résultats du président.
Pour être juste, M. Macron n'a jamais eu beaucoup de soutien populaire. Au premier tour de l'élection présidentielle en avril, lorsque les voix se sont partagées entre quatre candidats principaux, il a remporté un peu moins de 24 pour cent des suffrages. (Par comparaison, François Hollande a obtenu 28 % des voix au premier tour en 2012. Nicolas Sarkozy 31% en 2007.) M. Macron a remporté le deuxième tour facilement, mais seulement parce qu'il était le candidat le moins maléfique au second tour - son concurrent était Marine Le Pen, le chef du parti populiste d'extrême droite le Front national.
L'arithmétique électorale n'explique pas grand-chose. La popularité de M. Macron souffre de quelque chose de plus fondamental: le macronisme. Tout son projet politique a été beaucoup trop centré sur sa personnalité. Son attrait vient en grande partie de sa jeunesse, de son dynamisme, de on physique et de ses talents d'orateur. Cette approche hyper-personnalisée comportait le risque qu'une fois le charme épuisé, il n' y aurait plus rien à aimer pour ses supporters, ce qui est exactement en train de se passer.
Depuis son entrée en fonction, M. Macron a mis beaucoup de gens à l'écart en essayant de redonner de la « grandeur » à la présidence. Dans une phrase qui pourrait lui coller à la peau pour le reste de son mandat, il a dit qu'il voulait rendre la présidence plus " jupitérienne ", se comparant au puissant dieu romain Jupiter, qui gouvernait le ciel. Lorsqu'il a réuni le Sénat et le Parlement au palais de Versailles et qu'il leur a parlé de ses ambitions pour la présidence, nombreux sont ceux qui, en France, ont critiqué des accents monarchiques.
La plateforme idéologique sur laquelle il a été élu commence à se révéler pour ce qu'elle est réellement: du vide au cœur de son projet politique.
Les deux grands objectifs politiques de M. Macron sont de rétablir l'économie et l'Europe. Il est allé jusqu' à qualifier ses politiques économiques de " révolution copernicienne ", mais il ne fait que pousser la France un peu plus loin sur la voie de la déréglementation du marché du travail et de l'austérité fiscale, voie que d'autres pays ont empruntée.
Le nouveau président affirme qu'il est déterminé à faire de la France une "start-up nation", empruntant le jargon de la Silicon Valley. Cela lui a valu le soutien de « capital-risqueurs » et de milliardaires technologiques, mais n' a pas encore convaincu le grand public français. Le contrat social libéral de la Silicon Valley, avec son attitude désinvolte à l'égard de l'inégalité, s'inscrit avec difficulté dans une population qui a vécu avec les traditions socio-démocrates de l'après-guerre.
Son principal objectif est de réduire le taux de chômage en France, qui reste obstinément élevé à environ 10 %. Il espère y parvenir en réformant le code du travail. L'une des nouvelles mesures consiste à plafonner les indemnités que les tribunaux peuvent accorder aux travailleurs contestant un licenciement injustifié, une mesure qui vise à donner aux employeurs plus de confiance dans l'embauche. Une autre permettrait aux entreprises de moins de 50 salariés de négocier des contrats sans avoir à passer par les syndicats. L'extrême gauche française a appelé cela un "coup d'État social", mais le président a pris soin de ne pas céder totalement au lobby des entreprises.
Ce qui importe vraiment, c'est le résultat. Toute baisse durable du chômage en France serait la bienvenue, mais l'expérience d'autres pays suggère qu'elle se fait au prix de nouvelles inégalités. En Allemagne, les réformes du marché du travail ont entraîné une prolifération de "mini-emplois", un travail à temps partiel peu réglementé qui a remplacé les emplois à temps plein dans certains secteurs. Dans le marché du travail fortement déréglementé de la Grande-Bretagne, des niveaux d'emploi records existent parallèlement à une faible productivité, des salaires stagnants et une prolifération de contrats à court terme. Est-ce là l'avenir que veut la France?
On n’est plus dans le boom économique des années 1950 et 1960 quand le capitalisme en Europe était suffisamment dynamique pour combiner des niveaux élevés d'emploi avec des gains matériels à long terme pour les masses. Aujourd'hui, les choix impliquent des compromis douloureux. Les politiques économiques de M. Macron favorisent les employeurs au détriment des travailleurs et réduisent à néant ce qui reste de l'Etat-providence français.
Mais soucieux de donner à son programme un contenu politique concret, le président enveloppe ses réformes dans le drapeau européen. Il dit aux électeurs français que ce n'est que s'ils font ces sacrifices chez eux que le reste de l'Union européenne, et en particulier l'Allemagne, les prendra au sérieux ce qui offrira de meilleurs débouchés à la France.
Les plans européens de M. Macron prévoient un budget commun et un ministre des finances pour la zone euro. Ses idées ont reçu un accueil chaleureux à Berlin, et il y a des signes qu'un tel accord pourrait être possible après les élections fédérales en Allemagne le 24 septembre. Mais si la chancelière Angela Merkel gagne, son projet ne sera pas une union fiscale européenne où les recettes fiscales allemandes seraient placées dans un pot commun européen. Elle n'a donné son appui qu'à une version très modeste de ce que propose M. Macron. Le prix à payer pour tous les sacrifices consentis par la France sera minime - et le président ne sera certainement pas plus populaire qu'il ne l'est aujourd'hui.
Le succès de M. Macron à l'élection présidentielle de juin a bouleversé le paysage politique d'une manière profonde et durable. Pour ça, il mérite des remerciements. Mais en tant que projet politique, le macronisme n'est guère plus que rhétorique et orgueil, étayé par des politiques néolibérales conventionnelles. Pour l'instant, M. Macron est toujours le chouchou de l'élite libérale mondiale, mais son impopularité croissante nous donne une meilleure perspective de ce qu'il a à offrir.