Cours, gilet jaune, le vieux monde est derrière toi !


Le mouvement des gilets jaunes est-il vraiment en train de changer de forme et de s'émanciper de l'extrême-droite qui a essayé de l'instrumentaliser depuis le début ? A quelles conditions peut-il s'étendre et rompre avec toute représentation politique ? Et si Macron finissait par tomber, qui serait le joker du capital et quel serait le meilleur moyen de le repousser ?

COURS, GILET JAUNE, LE VIEUX MONDE EST DERRIÈRE TOI !

Depuis quelques jours, le mouvement hétérogène des gilets jaunes semble en train d'évoluer et de se "radicaliser" (pour nous amuser à reprendre le jargon effrayant des médias du pouvoir).

En effet, nous observons :
- une détermination croissante ;

- un rejet plutôt fort de toutes les tentatives de récupérations politiciennes, à de rares exceptions localement ;


- des revendications enfin sorties du carcan fiscal initial, encore en train de s'étendre, assez disparates d'un endroit à l'autre, et souvent jusqu'au rejet total du système politique et non plus seulement de Macron ;


- des modalités d'actions qui s'émancipent enfin des lieux sans intérêt que sont les ronds-points, excepté pour communiquer sommairement avec beaucoup de passants ; 


- un refus de plus en plus massif de toute "représentation politique", quelle qu'elle soit, refus encore très vague dans ses conséquences, sans référence historique ou idéologique, mais laissant poindre un désir encore naissant et manifestement hésitant à franchir le rubicon de la démocratie directe.

Cependant, ce mouvement reste encore très confus, au point d'être contradictoire dans son mélange de revendications patronales et salariales. Pas de lutte des classes mais un ras-le-bol contre les plus riches, et pour cause : parmi les gilets jaunes se trouvent aussi des petits patrons, artisans et commerçants, en colère contre d'autres plus grands et plus puissants u'eux. Le mot finance à toutes les sauces remplace un peu partout le mot capitalisme, trop clivant au regard de la sociologie du mouvement. Certes, tout l'aréopage politique semble être dans le collimateur, complètement rejeté (des élus ont été refoulés dans plusieurs villes et d'autres ont été acceptés à condition d'enlever leur écharpe tricolore, comme à Martigues par exemple). Mais les sympathisants du RN paraissent tout de même nombreux dans certaines régions, surtout au Nord et à l'Est de l'hexagone, sans forcément se dévoiler. Dès lors, une interrogation circule : d'anciens électeurs du RN peu politisés peuvent-ils vraiment évoluer positivement au contact d'autres révoltés, sur le terrain, comme certains observateurs le prétendent, ou bien cela risque-t-il d'être l'inverse, autrement dit un nouveau palier de franchi pour l'extrême-droite dans sa pénétration des luttes et sa récupération de celles-ci ?

Un autre problème significatif illustre ce dilemme : la plupart des dirigeants d'extrême-droite, facilement reconnaissables, ne sont que rarement expulsés des rassemblements, exceptés dans quelques villes portuaires du Sud et de l'Ouest. Samedi à Paris, le sinistre Ivan de Benedetti et sa clique n'ont malheureusement pas été évacués par les gilets jaunes eux-mêmes, mais par une mobilisation antifasciste. Résultat : la plupart des têtes de gondoles du fascisme en France continuent de s'offrir des bains de foule parmi les révoltés, un peu partout, au prétexte que ce mouvement serait "apolitique" et cela n'indique rien de bon. De même, si le racisme et l'homophobie sont ouvertement combattus par certains collectifs locaux de gilets jaunes, ils ne le sont pas ailleurs, au point que des pancartes nauséabondes viennent salir lamentablement des ronds-points et discréditer logiquement le mouvement auprès d'une partie des militants expérimentés qui refusent de rejoindre une telle confusion.

Gilet jaune, si tu veux étendre ta lutte, dégage d'abord ce qui rebute.

Cela rejoint une autre source d'inquiétude qui ne tient pas seulement au mouvement lui-même, mais à ce que nous prépare le capital en cas de chute de Macron. Son joker attend déjà dans les coulisses. Toujours le même depuis un siècle en Europe. Toujours là, en cas de nécessité, dès que le régime politique, bâti sur des illusions, vient à vaciller. Toujours prêt, en embuscade, bien traité et soigneusement positionné par les médias du pouvoir et leurs plateaux télé où s'étend le bleu marine depuis des années, des JT aux talk show. Ce joker du capital, depuis toujours, c'est l'extrême-droite.

Impossible ? Rouvrez vos livres d'Histoire, regardez également ce qui sort du chapeau actuellement d'un bout à l'autre du monde, et rappelez-vous ce qui se passe depuis plusieurs décennies en France, notamment durant les années 2001-2002 ou après les attentats de Charlie Hebdo.

Si les guignols du capital n'étaient plus en mesure de poursuivre le spectacle de leurs chamailleries dans la lutte des places, c'est certainement un arc politique autoritaire qui serait immédiatement propulsé au devant de la scène, d'une façon ou d'une autre, pour éviter une autre voie. Un arc politique autour de Marine Le Pen et de quelques complices (sans doute quelques personnalités médiatiques, par exemple des chanteurs rancis, des sportifs cocardiers et des humoristes bien lourdingues, ainsi qu'un ou plusieurs éditocrates pour chercher à rassurer les journalistes et leurs lecteurs, une pincée de politiciens girouettes de la droite et peut-être même de la gauche, une cuillerée de souverainistes de toutes sortes invités au festin dans le but d'adoucir les traits du nouveau gouvernement, et bien sûr une très grosse poignée de chefs bidasses et de flics réputés à des postes clés). Un arc politique qui serait à la fois composé pour "rétablir l'ordre" (de façon très autoritaire) et pour faire semblant de "satisfaire certaines revendications" des gilets jaunes (celles qui ne dérangent pas trop le capital, bien sûr, la bourgeoise Le Pen ayant depuis longtemps donné tous les gages nécessaires, par exemple en rappelant qu'elle n'augmenterait pas le SMIC et qu'elle resterait dans la continuité sur la plupart des positionnements géopolitiques).

Bref, si nous semblons actuellement nous approcher d'une situation révolutionnaire — dont les principales caractéristiques sont la volonté massive de la chute du pouvoir et celle d'un changement de système politique —, nous approchons aussi, dangereusement, d'une arrivée potentielle au pouvoir de l'extrême-droite, consécration de sa longue ascension en France avec la complicité du capital et de ses médias, dans un contexte global de durcissement autoritaire du pouvoir politique.

Puisque le monde entier devient fasciste, il est malheureusement peu probable que l'hexagone y échappe, tôt ou tard.

Inutile de s'étendre sur les conséquences : en tant que stade ultime du capitalisme, le fascisme n'hésite jamais à éliminer ou neutraliser massivement ses opposants, accompagnés souvent d'une ou plusieurs catégories de boucs-émissaires. Le fascisme n'est qu'un durcissement exacerbé d'une société déjà autoritaire qui le devient encore plus. Il est la mutation du capitalisme en temps de crise et non pas la solution contre ladite crise. C'est une impasse provisoire dans laquelle nous mène le capital sitôt qu'il est inquiété.

Notre seule chance d'échapper à cette issue dramatique réside sans doute dans le refus, actuellement exprimé de plus en plus fort, de toute représentation politique. Autrement dit, refuser les règles du jeu, sortir du cadre imposé, désobéir, saboter, tout bloquer... Et, simultanément, multiplier les assemblées populaires ("populaires" au sens de Louise Michel et Fernand Pelloutier, bien sûr !), sans autres mandats qu'impératifs, succincts et révocables à tout moment ; libérer l'imaginaire social et la volonté de ne plus jamais retourner en arrière ; susciter le désir de chercher ensemble d'autres façons de vivre et de nous organiser ; mettre en commun nos savoirs et nos richesses ; réfléchir à nos actes et acter nos réflexions ; propager autour de nous l'excitation de changer d'ère et de créer un autre "commun", alors même que le pouvoir n'a de cesse d'effrayer et de pousser au repli sur soi pour mieux tomber dans son piège.

Dans toute révolution, il n'y a jamais que deux perspectives possibles : soit avancer à grand pas, aussi vite que possible vers l'utopie en coupant les ponts avec le passé révolu, soit se faire rattraper brutalement par les formes les plus réactionnaires du vieux monde et le regretter tout le reste de sa vie.

Cours, gilet jaune, le vieux monde est derrière toi !

 

Yannis Youlountas

 

 

 

 

Proposé par Jean Aznar



04/12/2018
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