Coup de force des lobbies (sur les gaz de schistes)
Il se passe en ce moment-ci, dans notre vieux pays perclus de sombres histoires, une affaire en tout point extraordinaire. Je rappelle qu’après une mobilisation sans guère de précédent récent, surtout dans le sud de la France, des élus de droite et de gauche ont pris peur. La joyeuse perspective de l’extraction de gaz et de pétrole de schistes ici même - pollution massive de nos eaux, destruction de nos paysages, émissions massives de gaz à effet de serre en violation de la loi française - semblait bien devenir, sous nos yeux incrédules, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Révolte populaire, notre mouvement contre les gaz et les pétroles de schistes - « notre », car j’en suis, ô combien - paraissait jusqu’à ces derniers jours provisoirement victorieux. La gauche, puis la droite tombaient d’accord pour déposer en urgence un projet de loi - il sera discuté le 10 mai - abrogeant les permis d’exploration si généreusement accordés par l’ancien ministre Borloo à l’industrie pétrolière. Sarkozy, qui souhaite tant une campagne présidentielle à sa main, avait accepté, malgré sa proximité obscène avec des acteurs de premier plan du dossier, Paul Desmarais et Albert Frère, de laisser voter cette loi. Et de même Fillon, qui garantissait encore avant-hier, l’abrogation des permis. Au nom de la France, non ?
On se doutait certes que de puissants lobbies - Desmarais, les ingénieurs des Mines, Total et Suez - feraient leur travail, dans l’ombre si conforme à leurs intérêts. Mais on ne pensait pas - je n’imaginais pas, non - que les députés se coucheraient de la sorte après avoir clamé leur engagement définitif, Christian Jacob (UMP) en tête. Le texte définitif de la loi qui sera discutée mardi prochain n’est pas connu. Mais tout indique, au-delà des arguties dont on nous comblera jusque dans les médias, que l’abrogation des permis n’y figurera pas.
Oui, lecteurs de Planète sans visa , nous assistons en direct à un coup de force des oligarchies qui détiennent les vrais pouvoirs. Bien que n’ayant fait aucune étude exhaustive, je crois bien qu’il s’agit d’une première dans l’histoire de la République. Cette dernière a connu bien des reculades et des reniements, mais je ne vois pas - vous me trouverez peut-être des exemples - ce qui pourrait être comparé à ce gigantesque revirement de nos élites, sur fond de fric et d’énergie. Faut-il que notre monde soit malade !
Moi qui ne me fais aucune illusion sur le système parlementaire, je vois dans les événements en cours la confirmation, à mes yeux du moins, que la forme de démocratie dans laquelle nous vivons a totalement épuisé sa force. Elle ne survit que par inertie, faute d’une mobilisation capable de renverser la table une bonne fois pour toutes. Ne me faites pas dire que je suis contre la démocratie. Tout au contraire. C’est parce que je suis démocrate que je crois venu le temps de l’affrontement avec ce que, dans ma jeunesse, on appelait le « crétinisme parlementaire ». Ce n’est pas la voie la plus facile, mais je n’en vois aucune autre.