À Christine Renon.
ien sur que la mort de Christine Renon me touche. Surtout un suicide, surtout sur son lieu de travail, surtout dans l'école dont elle avait la charge.
Ne cherchons pas de faux fuyants... Quel degré de désespoir faut-il atteindre pour en arriver à cette extrémité.
Cette mort me touche, car ce fut mon métier : 37 années de direction d'école en quartier difficile, je sais tellement ce qu'elle a traversé, enduré. Cette mort est tragique car elle a cédé face au système. Malmenée, broyée, mal considérée, seule dans les difficultés, toujours responsable quand ça allait mal, jamais reconnue pour ses réussites et celles de son équipe.
Cette mort me touche, car quand j'ai quitté mes fonctions pour une retraite que je n'ai jamais trouvée usurpée, le métier était déjà devenu tellement difficile ! Et j'avais tellement de mal à continuer à travailler selon mes convictions tellement les lourdeurs administratives, les relations avec le monde extérieur, une hiérarchie pesante et incompétente rendaient la mission quasi impossible. Cela a continué à se dégrader à l'évidence.
Cette mort me touche, car je sais quel investissement personnel ce poste demande, combien on est toujours dans le doute, la difficulté, le don de soi, la solitude surtout ! Combien Christine a dû souffrir, appeler au secours, et ne jamais recevoir les réponses qui lui auraient permis d'avancer et de ne pas sombrer.
Cette mort me touche car elle témoigne d'un naufrage personnel, mais surtout, d'un effondrement collectif. Elle dit à la face du monde combien ce métier, cette fonction, cette école à laquelle nous tenons tant sont à la dérive. Elle est un boulet que ce pouvoir et ceux qui le suivront porteront à la cheville.
Christine a abandonné la partie et c'est insupportable. Elle a été brisée dans ce qu'elle aimait, dans ce qu'elle voulait pour tous les mômes qui lui étaient confiés, et nul ne lui est venu en aide.
Cette mort me touche et me plonge dans une colère terrible. Savoir ce qu'elle a traversé, constater qu'elle n'a pas tenu, être conscient que personne n'a seulement levé le petit doigt pour lui venir en aide, que ce métier est devenu proprement impossible, qu'alors qu'il est fait de passion, d'attention, de dévouement, il a entraîné dans le gouffre une d'entre nous.
Adieu donc chère collègue, comme beaucoup d'entre nous, je vais te garder dans un coin de ma mémoire, témoin de tout ce en quoi nous croyons, de ce pourquoi nous nous levons chaque matin, et de ce qui malheureusement t'a entraînée dans le gouffre.
Je n'ai pas de formule magique pour conclure ce petit billet, je transmets mes pensées les plus affectueuses à tous tes proches, et si l'absence d'expression de la moindre considération pour toi du ministre et du président sont insupportables, la réaction aujourd'hui des enseignants ne te laisse pas seule dans ton dernier voyage.