Un obscur traité sur l'énergie est la plus grande menace pour la planète
Traduction personnelle de cet article de opendemocracy.net
Europe’s biggest emitter of carbon is demanding €1.4bn in ‘compensation’ after Netherlands banned the burning of coal | Photo by Karsten Würth on UnSplash
Le traité sur la charte de l'énergie permet aux entreprises de combustibles fossiles de poursuivre les gouvernements qui prennent des mesures pour lutter contre le changement climatique. Il faut l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard.
Le 4 février, le géant allemand de l'énergie RWE a annoncé qu'il poursuivait le gouvernement des Pays-Bas. Le crime ? Avoir proposé d'éliminer progressivement le charbon du mix électrique du pays. L'entreprise, qui est le plus grand émetteur de carbone d'Europe, demande 1,4 milliard d'euros de "compensation" au pays pour la perte de revenus potentiels, car le gouvernement néerlandais a interdit la combustion du charbon pour l'électricité à partir de 2030.
Si cela vous semble déraisonnable, vous serez surpris d'apprendre que ce type d'action en justice est tout à fait normal - et devrait devenir beaucoup plus courant dans les années à venir.
RWE intente une action en justice en vertu du traité sur la charte de l'énergie (TCE), un accord international peu connu signé sans grand débat public en 1994. Ce traité, qui lie plus de 50 pays, permet aux investisseurs étrangers du secteur de l'énergie de poursuivre les gouvernements pour des décisions susceptibles d'avoir un impact négatif sur leurs bénéfices, y compris les politiques climatiques. Les gouvernements peuvent être contraints de verser des sommes considérables en guise de compensation s'ils perdent un procès au titre du TCE.
Mardi, Investigate Europe a révélé que l'UE, le Royaume-Uni et la Suisse pourraient être contraints de payer plus de 345 milliards d'euros en procès ECT sur l'action climatique dans les années à venir. Ce montant, qui représente plus de deux fois le budget annuel de l'UE, correspond à la valeur totale des infrastructures de combustibles fossiles protégées par le TCE. Il a été calculé à partir de données recueillies par Global Energy Monitor et Change of Oil International.
Avec des actifs couverts par le TCE d'une valeur de 141 milliards d'euros (soit plus de 2 000 euros par citoyen), le Royaume-Uni - qui est devenu en 2019 la première grande économie à adopter une loi sur les émissions nettes zéro - est le pays le plus vulnérable aux futures réclamations.
En 2019, la Commission européenne a qualifié le TCE de "dépassé" et de "non durable", et plus de 450 dirigeants et scientifiques spécialistes du climat et 300 législateurs de toute l'Europe ont appelé les gouvernements à se retirer du traité.
Mais en réponse, de puissants intérêts se sont mobilisés non seulement pour défendre le traité, mais aussi pour l'étendre à de nouveaux États signataires. Parmi ces intérêts figurent le lobby des combustibles fossiles, qui tient à conserver ses privilèges juridiques démesurés, les avocats qui gagnent des millions en plaidant des affaires liées au TCE et le secrétariat du TCE, basé à Bruxelles, qui entretient des liens étroits avec les deux industries et dont la survie dépend du maintien du traité.
Un garde du corps pour les pollueurs.
Les partisans du TCE font un certain nombre de déclarations controversées pour empêcher les pays de quitter le traité et persuader de nouveaux pays d'y adhérer. Mais leurs mensonges et leurs fausses informations sont facilement démystifiés.
Par exemple, les partisans du TCE affirment que le traité attire les investissements étrangers, notamment dans les énergies propres. Cependant, rien ne prouve clairement que les accords de type TCE ont cet effet : une récente méta-analyse de 74 études a montré que l'effet des accords d'investissement sur l'augmentation des investissements étrangers "est si faible qu'il est considéré comme nul".
Et si les partisans du TCE prétendent que le traité protège les investissements dans les énergies renouvelables, en réalité, il protège et prolonge surtout le statu quo dominé par les combustibles fossiles. Ces dernières années, seuls 20 % des investissements protégés par le TCE concernaient les énergies propres, contre 56 % pour le charbon, le pétrole et le gaz.
En protégeant le statu quo, le TCE fait office de garde du corps pour les pollueurs. Comme le montre l'exemple de RWE, lorsqu'un gouvernement décide d'éliminer progressivement le charbon ou de mettre un terme aux activités pétrolières et gazières, les entreprises de combustibles fossiles peuvent exiger une forte compensation via le TCE. Alors, en l'absence d'avantages publics et avec des risques évidents pour l'action climatique, pourquoi les pays hésitent-ils à quitter le traité ? Deux autres mythes les empêchent d'agir.
Premièrement, les partisans du TCE affirment qu'un processus de "modernisation" du traité en cours permettra de corriger ses défauts. Mais la modernisation avance à pas de tortue depuis 2017, et a peu de chances de réussir étant donné la résistance de puissants membres du TCE comme le Japon, dont les entreprises ont utilisé le TCE pour intenter des actions en justice contre d'autres gouvernements. Des rapports ayant fait l'objet de fuites montrent que les pourparlers sont bloqués en raison de l'obligation de prendre des décisions à l'unanimité.
Aucun État signataire n'a proposé de supprimer ses dangereux tribunaux d'entreprise, qui prennent la forme de tribunaux d'arbitrage dirigés par trois avocats privés. Aucun État n'a proposé une exemption claire pour l'action climatique. Aucun membre du TCE ne souhaite exclure la protection des combustibles fossiles du traité modernisé dans un avenir proche.
En bref, les négociations sur la "modernisation" du traité ne permettront pas d'aligner le traité sur les engagements mondiaux en matière de climat.
Deuxièmement, les partisans du TCE affirment que la sortie du traité n'offre aucune protection contre des poursuites judiciaires coûteuses. La clause de caducité du traité CE - qui permet aux investisseurs de poursuivre un pays pendant 20 ans après son retrait du traité - rend inutile une sortie unilatérale du traité CE, affirme-t-on.
Dans la pratique, cependant, le fait de se retirer du traité réduit considérablement le risque de poursuites judiciaires et permet d'éviter l'enfermement du carbone dans les nouveaux projets de combustibles fossiles. La clause d'extinction du TCE ne s'applique qu'aux investissements réalisés avant le retrait, tandis que ceux réalisés après ne sont plus protégés.
À l'heure où la majorité des nouveaux investissements dans le secteur de l'énergie sont encore consacrés aux combustibles fossiles, et non aux énergies renouvelables, ce point est important. Plus tôt les pays se retirent, moins de nouveaux investissements sales tomberont sous le coup du TCE et seront "verrouillés" par son statut juridique.
L'Italie a pris la mesure nécessaire en se retirant du TCE en 2016. À l'avenir, si plusieurs pays décident de se retirer ensemble - disons le bloc de l'UE, soutenu par des alliés tels que le Royaume-Uni ou la Suisse - ils peuvent affaiblir davantage la clause de caducité. Les pays qui se retirent pourraient adopter un accord qui exclut les demandes au sein de leur groupe, avant de quitter conjointement le TCE en même temps. Il serait alors difficile pour les investisseurs de ces pays de poursuivre d'autres pays du groupe.
Cette semaine, une pétition européenne a été lancée afin que les citoyens puissent demander à leurs gouvernements de mettre fin à la folie du TCE.
Quitter le TCE, obsolète et néfaste pour le climat, est une évidence. Il ne s'agit pas seulement d'une bonne gouvernance, mais de l'étape logique pour tous ceux qui prennent le réchauffement climatique au sérieux.