Subventions aux énergies fossiles : « Les lobbys pèsent trop sur les gourvernements »


Alors que les Etats peinent à financer l'adaptation au changement climatique, des milliards d'euros pourraient être économisés en réformant les subventions aux énergies fossiles, estime, dans un rapport, le député Vert Yves Cochet.

C’est un rapport qui dérange : « Fossil fuel subsidies and government support in 24 OECD countries » fait le point sur les subventions versées aux énergies fossiles par les gouvernements dans 24 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Les chiffres laissent sans voix : alors que les gouvernements rechignent à verser les 100 milliards de dollars annuels (78,6 milliards d’euros) qu’ils avaient promis à la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, et ce afin de financer l’adaptation au changement climatique, plus de 750 milliards de dollars de fonds publics (590 milliards d’euros) sont dépensés chaque année pour soutenir la production et la consommation d’énergies fossiles...

 

L’eurodéputé Vert Yves Cochet, qui a réalisé ce rapport avec Elise Buckle, directrice de SustainEnergy, a répondu aux questions de Terra eco.

 

 

Terra eco : Votre rapport met en évidence un gouffre entre les sommes investies dans les subventions aux énergies fossiles et les sommes qu’on peine à trouver pour financer l’adaptation au changement climatique, notamment le développement des énergies renouvelables. Quel est votre sentiment face à ce constat ?

 

Yves Cochet : Je suis immensément stupéfait ! Quand nous avons commencé nos recherches, on ne le croyait pas : l’estimation mondiale des subventions aux énergies fossiles est énorme ! Et encore, cette estimation est minimale : elle ne concerne que 24 pays parmi ceux de l’OCDE, et elle est basée sur ce que les gouvernements ont bien voulu nous dire... Autrement dit, ces subventions sont sûrement bien plus importantes.

Les déclarations des gouvernements affirmant vouloir s’engager dans une réelle transition énergétique s’en trouvent-t-elles écornées ?

C’est certain que d’un côté, on condamne les énergies fossiles, et de l’autre, on les subventionne largement... On se rend compte à quel point les grands lobbys – pétroliers, charbonniers et gaziers – pèsent. Comme Total, qui est de loin la plus grande entreprise en France. Les lobbys sont tellement forts que les gouvernements sont capables de donner des sommes énormes sans penser plutôt à changer leur politique. Cela révèle aussi un autre modèle mental, avec des gouvernements qui pensent qu’il faut s’intéresser à l’environnement, à la protection de l’air, de l’eau, des forêts, mais tout ceci n’est rien par rapport au soutien qu’ils apportent aux énergies fossiles.

 

Les subventions versées aux énergies fossiles sont de plusieurs ordres : elles touchent les prix, la production ou encore la consommation. Comment sont-elles justifiées ?

 

En ce qui concerne la production, elles sont totalement injustifiées. Les compagnies pétrolières font déjà énormément de profits ! Pour la consommation, elles sont plus compréhensibles : il y a des professions qui sont vulnérables à un prix du litre qui augmente trop vite. Je pense aux agriculteurs, aux taxis... Quant aux prix des énergies fossiles, notamment à la consommation, il serait temps de comprendre que ces énergies-là vont devenir moins abondantes et plus chères. Il n’y a donc que des bénéfices à débuter une transition et à réformer les subventions : des bénéfices financiers d’une part, mais bien sûr aussi écologiques. Or, on le voit bien avec les échecs successifs des conventions qui s’attaquent à la question climatique, tout cela n’est pas suffisamment pris au sérieux.

 

En 2009, à Pittsburgh, les dirigeants du G20 s’étaient engagés à éliminer progressivement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles. Que s’est-il passé depuis ?

 

Cela fait partie de ces grandes déclarations politiques mais qui ne sont pas juridiquement contraignantes : elles donnent des espoirs mais en réalité, elles ne sont pas mises en œuvre. En publiant ce rapport avant le G20 de Los Cabos au Mexique, et RIO+20, qui est en train de se terminer, au Brésil, on espérait que cela pourrait avoir un impact. Mais nous sommes déçus, ça ne va rien donner... Les problèmes écologiques sont de plus en plus aigus : cette conscience-là progresse. Mais dans le même temps, ce qu’on observe à l’issue des récentes conférences climatiques, de Copenhague, Cancún, Durban, c’est qu’il y a une régression par rapport à 1997, l’année du Protocole de Kyoto. Même Rio+20 est moins fort que le Sommet de la Terre de Rio en 1992 ! Les conventions climatiques perdent du pouvoir. Tout cela, bien évidemment, sous des prétextes de crise économique. Si l’on changeait la donne, il y aurait effectivement moins de croissance, mais elle serait plus heureuse.

 

Dans votre rapport, vous préconisez la création d’une instance internationale capable de réformer ce système de subventions aux énergies fossiles. Comment pourrait-elle s’articuler pour reprendre ce pouvoir que d’autres instances onusiennes peinent à exercer ?

 

C’est une évidence que les instances onusiennes aujourd’hui ne convainquent plus les gouvernements. L’ONU devrait avoir plus de pouvoir contraignant sur les gouvernements, mais le nationalisme l’emporte actuellement sur l’international... Lorsque nous avons présenté ce rapport à Bruxelles, des représentants d’une vingtaine de pays étaient là pour former ce qu’ils appellent « le Club des amis de la réduction des subventions aux énergies fossiles ». Ils espèrent faire office de pré-instance onusienne et s’élargir en faisant progressivement rentrer dans leur groupe d’autres pays. Pour certains, ce positionnement est évident : le Costa Rica, par exemple, n’est ni un producteur ni un gros consommateur.

Il y a aussi des pays comme le Mexique, dont les champs de pétrole s’amenuisent et qui sont fortement concurrencés par les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole. Ils disent qu’au moins pour la production, il faudrait qu’il y ait moins de subventions. C’est sûr que, quelque part, cela s’appuie tout à la fois sur des arguments à la fois écologiques mais aussi libéraux : laissons les marchés faire et on verra si les énergies fossiles sont toujours aussi concurrentielles face aux énergies renouvelables ! Avec 750 milliards de dollars (592 milliards d’euros) de subventions annuelles, elles se porteraient en tout cas sûrement mieux...

 



21/06/2012
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