Noam Chomsky : « La fabrique du consentement a empoisonné la pratique de la démocratie »


Le premier livre politique que j’ai jamais reçu a été 9-11 de Noam Chomsky. Mon grand frère me l’a donné, juste un peu après le 11 septembre. Et je l’ai lu, et relu. Et je me suis disputé avec des gens à son sujet. Et puis au fil des ans, je me suis plongé dans l’œuvre de Noam Chomsky. Et son étendue est toujours aussi impressionnante.

 

Source: The New York Times, Ezra Klein, Noam Chomsky


Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

 

EZRA KLEIN : Voici Noam Chomsky, il a écrit plus de livres politiques que je ne peux en compter, et la politique n’est même pas son domaine de recherche principal. En tant que linguiste avant gardiste, il a donné une nouvelle dimension à ce département de recherche. Il a fait un travail très important. C’est un théoricien des médias. Il a fait des vagues dans le monde de l’intelligence artificielle. Il représente vraiment l’exemple remarquable d’un esprit continuellement au travail. Et c’est toujours vrai. Chomsky a 92 ans, et il continue d’écrire des livres, de donner des interviews et d’essayer de marquer le monde de son empreinte.

Si pour vous Noam Chomsky n’est que le symbole d’un certain type de gauchisme ou un critique de l’impérialisme américain, alors vous passerez à côté de beaucoup de choses. Dans son argumentation, coexistent le monde qu’il veut construire et l’urgence de ce qui doit changer dès aujourd’hui, ce qui veut dire faire des compromis.

C’est certes un penseur utopique mais aussi un acteur très pragmatique. Par exemple il a passé une grande partie de l’année 2020 à essayer de convaincre la gauche de voter pour Joe Biden. Il se revendique conservateur quand il s’agit de changement social, et vous l’entendrez ici. Dans sa pensée, il est réticent à faire des déclarations radicales sur la façon dont les choses devraient ou vont fonctionner dans son monde idéal, car il ne pense pas que c’est ainsi que le changement peut réellement fonctionner.

Tout cela pour dire qu’il y a une indépendance profonde que j’ai toujours admirée dans la pensée de Chomsky. Que je sois d’accord ou non avec les conclusions auxquelles il est parvenu, il est toujours et partout lui-même, aussi bien quand c’est facile que quand c’est difficile. Mais le cœur du chomskysme, tel que je l’ai toujours compris, c’est une idée de ce que sont les êtres humains et de ce que nous voulons, une idée basée sur son travail sur le langage et la façon dont nous pensons, mais qui alimente ensuite ses convictions sur l’architecture politique qui proposerait le meilleur soutien à l’épanouissement humain.

Et pour lui, c’est là de l’anarchisme, mais pas l’anarchisme au sens où le mot est souvent utilisé aujourd’hui ou comme un synonyme de chaos ou de manque d’organisation. L’anarchisme comme aile libertaire du socialisme, comme une façon de mettre la liberté et l’égalité dans des formes fondamentales de coopération plutôt que dans des formes fondamentales de compétition.

C’est donc là que nous commencerons, mais ce n’est certainement pas là que nous finirons. Il s’agit d’une conversation tant sur le monde que Chomsky veut que nous construisions à l’avenir et pourquoi, que sur le monde qu’il espère que nous pouvons sauver dès maintenant avec tous les compromis, imperfections et contradictions qui le traversent. Et nous accueillons Noam Chomsky.

Laissez-moi commencer par ce qui est le point de départ de votre vision du monde. Qu’est-ce qui distingue l’intelligence humaine de, disons, l’intelligence animale ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, il y a essentiellement deux choses fondamentales qui appartiennent en propre à l’espèce humaine, qui sont communes à l’espèce, dont on ne trouve d’analogie nulle part. L’une d’entre elles est ce que nous sommes justement en train d’utiliser, le langage. C’est essentiellement le cœur de notre être. Il nous distingue totalement du monde animal. Une autre propriété de l’espèce est tout simplement la pensée. Pour autant que nous le sachions, il n’existe aucune forme de pensée dans le monde ou peut-être même dans l’univers qui soit comparable à ce que nous avons. Et les deux sont étroitement liés – le langage est l’instrument de la pensée et le moyen de formuler la pensée dans notre esprit, il est parfois le moyen de l’extérioriser vers les autres.

Ces deux capacités semblent être apparues ensemble, probablement à peu près en même temps que l’Homo sapiens. Elles sont communes à tous les humains, en dehors de pathologies graves. Et il n’existe rien d’analogue dans le monde animal. En fait, il se peut que cela n’existe nulle part ailleurs pour autant que nous le sachions.

 

EZRA KLEIN : Comment votre travail sur le langage alimente-t-il votre compréhension de l’épanouissement humain, de ce que les humains veulent ?

 

NOAM CHOMSKY : Il y a quelque chose de frappant qui est inhérent au langage et cela a d’ailleurs fortement impressionné les fondateurs de la révolution scientifique, Galilée et ses contemporains, c’est ce qu’on appelle parfois l’aspect créatif de la pensée humaine. D’une certaine façon nous sommes capables de construire dans notre esprit une gamme illimitée d’expressions significatives. La plupart du temps, cela se passe au-delà de la conscience. Parfois, cela émerge à la conscience.

Nous pouvons les utiliser d’une manière qui soit appropriée aux situations et constamment, de façon nouvelle, souvent inédite dans l’histoire du langage, de notre propre histoire. Eh bien, à travers les siècles, ce caractère créatif a été relié de manière spéculative, mais non absurde, à un instinct fondamental de liberté, qui fait partie de notre nature intrinsèque, et qui est la résistance à la domination et au contrôle par des autorités illégitimes, voilà un élément fondamental de la nature humaine, c’est peut-être une partie de la même capacité créative, qui se manifeste de manière très frappante dans notre utilisation normale du langage.

 

EZRA KLEIN : Si c’est si fondamental à notre nature, par opposition à juste un des composants de notre nature, alors pourquoi nous. Pourquoi passe-t-on, moi peut être, tant de temps à refouler ces tendances – à se défouler sur Twitter, à regarder des émissions de télé, à zoner, à déménager dans des maisons individuelles loin de tout le monde ? Si nous voulons la liberté et la créativité, pourquoi sommes-nous souvent attirés par des choses qui semblent nous en priver ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, une grande partie de tout ça nous est inculqué dès l’enfance. Regardez les enfants, ils demandent constamment pourquoi, ils veulent des explications, ils veulent comprendre les choses. Vous allez à l’école, vous êtes soumis à la discipline. On vous apprend que c’est comme ça que vous devez vous comporter, pas autrement. Les institutions de la société sont conçues de sorte à réduire, modifier, limiter les efforts et le contrôle de son propre destin. Prenez quelque chose d’aussi simple qu’avoir un emploi, nous considérons maintenant que c’est le but ultime dans la vie. Un lycéen vous demande conseil, vous lui dites qu’il ferait mieux de se préparer à trouver un emploi.

Pendant environ 2 000 ans, depuis les Romains jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’idée d’avoir un emploi était considérée comme quelque chose de choquant. Vous vous placez alors dans une position de subordination à un maître. L’attaque fondamentale contre la dignité humaine, contre les droits humains. Quiconque ayant une quelconque intégrité et un quelconque respect de soi devrait refuser de s’y soumettre. Ce sont de vieux problèmes.[problème de son] David Hume, mon philosophe préféré, a écrit un des premiers, peut-être d’ailleurs ‘le’ premier, traité moderne de ce que nous appelons aujourd’hui la science politique, les fondements du gouvernement. Dans le premier paragraphe il commence par exposer une sorte de paradoxe.

Il s’étonne, dit-il, de la facilité avec laquelle les hommes se soumettent au gouvernement et aux autres pouvoirs. En effet, puisque le pouvoir est entre les mains des gouvernés, de la population en général, pourquoi se soumettent-ils au pouvoir et à l’autorité ? Et il ajoute que la seule réponse à cela est le consentement forcé. La société est structurée de manière à ce que les gens consentent à ce qui est en opposition avec leur nature fondamentale, à ce qu’ils se soumettent aux autres. Plus tard, Antonio Gramsci, depuis sa cellule de la prison de Mussolini, a développé la même conception de manière très détaillée en expliquant comment ce qu’il appelle le sens commun hégémonique est imposé, en opposition aux besoins et aux droits des personnes.

 

EZRA KLEIN : Permettez-moi de vous demander ce qui vous fait croire que les gens sont débarrassés de ces désirs et non pas que leurs désirs rivaux sont satisfaits et occultent souvent d’autres parties de notre nature. Et je vais vous donner un exemple. J’ai un fils de deux ans. C’est un âge merveilleux. Et une partie de ce qu’il veut faire c’est créer et apprendre. Je veux dire, il me pose la question « C’est quoi ? » au moins 400 fois par jour. Mais aussi, il faut dire que nous avons fait l’erreur de le laisser voir des dessins animés, une ou deux fois. Et chaque matin, c’est un combat pour ne pas allumer la télé. Style il se met à hurler. Et il est en colère.

J’ai des amis qui ont des enfants plus âgés. Ils veulent que ces enfants aillent construire des choses. Et ils veulent les envoyer dans des colonies de vacances enrichissantes. Et ils veulent qu’ils lisent des livres. Et les enfants veulent jouer aux jeux vidéo. Et c’est toujours un combat. Et je pense vraiment que votre politique mène dans une autre direction.

Si selon vous, la structure capitaliste fait que les gens désirent des choses qu’ils ne veulent pas vraiment et supprime leurs véritables désirs, ou alors au contraire si vous pensez, et je penche probablement plus vers cela, qu’il y a beaucoup de choses que nous désirons. Et l’une des difficultés lorsqu’on construit une politique axée sur l’enrichissement humain, telle que vous la décrivez ici, c’est que de nombreuses entreprises sont capables de nous fournir des produits électroniques de consommation et d’autres types de divertissements qui, malheureusement, sont des choses que les gens désirent vraiment et qu’ils adoptent réellement. Et il est difficile d’amener les gens à mettre ces choses-là de côté et à participer à une forme plus classique de politique en petit comité, la démocratie dont vous parlez.

 

NOAM CHOMSKY : Ce que vous êtes en train de dire ici, c’est que la vie est compliquée.

 

EZRA KLEIN : [RIRES] Exact.

 

NOAM CHOMSKY : La relation entre vous et vos enfants, c’est une relation d’autorité et de domination. Et elle se justifie d’une certaine façon. Ce n’est pas une autorité légitime. Elle peut être utilisée de manière illégitime, mais c’est – le noyau de celle-ci, oui, il y a une relation de domination, qui a sa justification pour la survie. Elle peut être utilisée de sorte à encourager l’indépendance, la créativité, ou elle peut être utilisée de sorte à imposer l’autorité et le contrôle. L’enfant va piocher dans ces influences contradictoires.

Cependant, lorsque vous en venez à la structure de la société, disons, à la création de désirs par les entreprises, il n’y a aucune légitimité à cette relation d’autorité. Là, c’est une relation de pouvoir central. Je pense que nous avons une industrie puissante aux États-Unis – l’industrie des relations publiques, l’industrie de la publicité. Nous savons à quoi elle sert. Ses fondateurs nous l’ont dit. Les fondateurs de l’industrie, comme Edward Bernays, un des principaux leaders dans les années 1920, lorsque l’industrie était en développement, a écrit un livre majeur sur ce sujet intitulé Propagande. A cette époque la propagande n’avait pas la connotation négative qu’elle a aujourd’hui. Cela voulait simplement dire persuader.

Il y aborde ce qu’il appelle l’ingénierie du consentement. Notre tâche, en tant qu’hommes responsables, est de faire en sorte que les jeunes obtiennent le consentement des masses. C’est ce qu’il a fait par exemple avec un grand projet qui a amené les femmes à fumer. Des mannequins marchant sur la 5ème avenue avec des cigarettes à la main, disant que c’est un signe qu’on est une femme moderne et ainsi de suite. Et il a réussi à faire en sorte que les femmes fument. C’est l’un des premiers grands succès dans l’ingénierie du consentement. On peut compter le nombre de cadavres auxquels elle a donné lieu.

Au moment où il écrivait, le grand intellectuel du 20ème siècle Walter Lippmann publiait un article sur ce qu’il appelait la fabrique du consentement, qu’il décrivait comme un nouvel art dans la pratique de la démocratie. C’est une façon de s’assurer, comme il disait, que le troupeau déboussolé, la population générale, sera contrôlée. Que nous, les hommes responsables, ne serons pas soumis au piétinement et au mugissement du troupeau déboussolé. Maintenant, leur tâche est d’être des spectateurs, pas des participants.

 

EZRA KLEIN : Permettez-moi d’essayer de réunir ces deux éléments, car l’une des choses intéressantes, je pense, est que je suis fondamentalement d’accord avec vous, et nous sommes ici au spectacle où il y a de la publicité. Mon journal contient de la publicité. Si vous revenez à l’économie américaine du milieu du siècle et aux critiques du capitalisme, la publicité est beaucoup plus considérée comme une force structurante. Je continue d’aimer beaucoup The Affluent Society de John Kenneth Galbraith, en partie pour ces raisons. Je pense que cet ouvrage saisit une chose que nous avons perdue, à savoir que les désirs qui surgissent au sein du capitalisme ne sont pas simplement naturels.

La raison pour laquelle j’ai un peu insisté sur ce point est qu’ils ne sont pas seulement fabriqués. Je veux dire, j’ai lancé des publications. J’ai beaucoup travaillé avec des annonceurs qui faisaient de la publicité. Ils ne contrôlent pas grand-chose. Ils essaient beaucoup de choses. Il y en a qui marchent, d’autres qui ne marchent pas. Si vous rendez les gens accros aux cigarettes, la publicité aide. Mais la nicotine fait vraiment tout le travail pour vous. Pourtant, il y a des tonnes de films qui ont des budgets publicitaires gigantesques et qui font un flop. Il y a des tonnes de projets politiques et de candidats politiques. Par exemple, dans mon État, la Californie, Meg Whitman a dépensé environ 150 millions de dollars de son propre argent pour perdre de plus de 10 points. De son côté, la campagne de Jeb Bush a coûté à peu près le même montant pour qu’il abandonne prématurément les primaires.

Il existe donc ici une relation dans laquelle le public aussi a un certain pouvoir. Et ce qui finit par arriver, me semble-t-il, est une sorte de diagramme de Venn entre ce que le pouvoir veut et l’argent qu’il est nécessaire de dépenser pour créer le désir chez les gens, mais aussi ce que le public désire. Et beaucoup de ces choses ne sont pas géniales, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une capacité à contrôler les esprits, comme le prétendent certaines des versions les plus totalitaires de cette théorie.

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, je suis d’accord avec ça. Ce sont des efforts. Il n’est pas nécessaire que les efforts réussissent à tous les coups. Mais ce dont nous parlons, c’est de l’effort extraordinaire et massif qui est déployé pour créer des envies, façonner l’opinion, s’assurer que les doctrines ne sont pas remises en question. Une autre question est de savoir si cela fonctionne. Eh bien, c’est une histoire mitigée. Parfois, ça marche. Parfois, ce n’est pas le cas. Mais ce qui est sous-jacent, c’est le fait que l’un des facteurs majeurs de notre ordre social est une énorme tentative de fabriquer le consentement, de créer des désirs, d’assurer la conformité doctrinale.

Et cela fonctionne souvent. La cigarette est un cas où cela a fonctionné. En fait, il est très intéressant de se pencher sur ces cas. Prenons de nouveau le cas des cigarettes, je suis sûr que vous vous souvenez de l’homme Marlboro, d’où cela vient-il ? Eh bien, cela vient en fait de la création de la culture des armes à feu. Au 19ème siècle, c’était un pays agricole. Les fermiers avaient des fusils et chassaient les bestioles. Il y avait une énorme industrie de fabrication d’armes à feu – les célèbres Winchester, Remington, Colt, etc. Ils avaient un gros marché pendant la guerre civile. Eh bien, la guerre civile était terminée, le marché s’est effondré.

Il y avait des guerres partout en Europe. Ils achetaient aux fabricants américains des armes perfectionnées. À la fin du 19e siècle, cela s’est arrêté. L’Europe était entrée dans une période de paix temporaire. Les fabricants d’armes étaient en difficulté. Ils n’avaient pas de marché. Les agriculteurs ne voulaient pas de leur matériel compliqué. Qu’allaient-ils faire ? Ce qu’ils ont fait en premier lieu, c’est concocter une image complètement fabriquée de l’Ouest sauvage – des shérifs tirant plus vite que leur ombre et de gentils cow-boys, tout ce genre de trucs.

En résumé, tu ferais mieux d’acheter à ton fils un fusil Winchester ou il ne sera pas un vrai mec. Et tu ferais mieux d’acheter à ta fille un petit pistolet rose ou elle ne sera pas une vraie nénette et tout ce qui s’en suit. C’était fondamentalement l’idée clef de la campagne publicitaire. Elle a eu un effet énorme. Et aujourd’hui c’est exactement avec ça que nous vivons. Depuis le début, tout ça c’est une pure fabrication. Je veux dire, si on retourne au 19ème siècle, les cow-boys ce n’étaient pas des gardes forestiers solitaires courant partout pour sauver des gens. C’était un type qui ne pouvait pas trouver de travail, alors quelqu’un l’engageait pour rassembler et déplacer les vaches ou quelque chose du même style. Mais c’est avec ces récits là que nous vivons.

 

EZRA KLEIN : Vous êtes un anarchiste. Comment définissez-vous l’anarchisme ? [L’anarchisme regroupe plusieurs courants de philosophie politique développés depuis le XIXᵉ siècle sur un ensemble de théories et de pratiques anti-autoritaires basées sur la démocratie directe et ayant la liberté individuelle comme valeur fondamentale,NdT].

 

NOAM CHOMSKY : L’anarchisme, tel que je le conçois, est assez proche d’un truisme. Voilà. Et je pense que tout le monde, s’il y réfléchit, acceptera au moins cela. Nous partons du principe que toute structure d’autorité et de domination doit se justifier. Elle ne se justifie pas d’elle-même. Elle a la charge de la preuve. Elle doit montrer qu’elle est légitime. Donc, si vous vous promenez avec votre gamin, qu’il court dans la rue, que vous l’attrapez par le bras et le tirez en arrière, c’est un exercice d’autorité. Mais c’est légitime. Vous pouvez trouver une justification.

Et on trouve des cas comme ça où il y a une justification. Mais si on regarde de près, la plupart des cas ce n’est pas cela. La plupart des cas, c’est ce dont David Hume, Edward Bernays, Walter Lippmann, Adam Smith, et d’autres ont parlé au cours des siècles. A savoir, l’autorité illégitime. Eh bien, les autorités illégitimes devraient être dénoncées, défiées, vaincues. C’est vrai dans tous les domaines de la vie. Nous avons parlé de quelques cas. Comme, disons, le lieu de travail, où l’autorité est illégitime, ne devrait pas être tolérée, n’était pas tolérée, jusqu’à ce que cela soit évacué de la tête des gens par la force et la violence. Bon, OK, c’est quoi l’anarchisme ? Je ne fais que développer ces questions jusqu’à leurs limites.

 

EZRA KLEIN : Qui décide quand l’autorité est légitime ? Dans certaines des théories les plus classiques de la démocratie, c’est lorsque vous avez le consentement des gouvernés et que l’exercice de l’autorité en leur nom est légitime. Je pense qu’il y a beaucoup de ces cas avec lesquels vous ne seriez pas d’accord. Alors dans l’anarchisme, comment ces décisions sont-elles prises ?

 

NOAM CHOMSKY : Ici, nous revenons à la première question que vous avez soulevée, sur les caractéristiques propres à la nature humaine, comme la faculté de penser. Il vous faut cependant y réfléchir. Il n’existe pas d’algorithme. La vie est trop compliquée pour de simples algorithmes. Vous commencez par examiner la situation, vous y réfléchissez, vous en discutez avec d’autres dans une société libre, où les gens ont accès à l’information, où ils ont acquis le contrôle de leur vie. Tout le monde y réfléchit et prend la décision. Maintenant prenez le cas où vous êtes asservi à un maître pendant la majeure partie de votre vie consciente. Eh bien, les ouvriers, au 19ème siècle, les jeunes femmes des fermes, les filles d’usine comme on les appelait. Ils y réfléchissaient bel et bien.

Et nous pouvons savoir quelle était leur façon de penser en lisant la littérature très parlante et convaincante qu’ils ont produite. Ils s’en prenaient amèrement à la règle qu’ils qualifiaient de monarchique sur le lieu de travail, où leurs droits fondamentaux étaient confisqués par la subordination à un maître, ce qu’ils considéraient comme étant fondamentalement très peu différent de l’esclavage, sauf que cela pouvait être temporaire, il était possible de s’en libérer.

Les travailleurs considéraient que nous devions aller de l’avant, nous diriger vers ce qu’ils appelaient un Commonwealth coopératif, où les gens contrôlent leur propre vie. Les travailleurs devraient contrôler les entreprises dans lesquelles ils travaillent. Leur conception était que toute personne qui s’approprie le travail de quelqu’un d’autre est dans une position d’autorité illégitime. Et c’est de là qu’est né tout le système. Eh bien, c’est ainsi que l’on répond aux questions, par la délibération entre des personnes qui mettent leur esprit au travail. Pouvez-vous garantir que la bonne réponse en sortira ? Bien sûr que non.

 

EZRA KLEIN : Mais il est pourtant vrai que les gens arrivent à des réponses très différentes à ce sujet. Je veux dire, vous parlez de l’anarchisme comme de l’aile libertaire du socialisme. Eh bien je connais des gens qui finissent par être l’aile libertarienne du capitalisme [Le libertarianisme, aussi appelé libertarisme (à ne pas confondre avec libertaire), est une philosophie politique, développée principalement aux États-Unis et dans quelques pays anglo-saxons, pour laquelle une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu d’exercer son plein droit de propriété sur lui-même ainsi que les droits de propriété qu’il a légitimement acquis sur des objets extérieurs,NdT] et qui finissent par se retrouver de l’autre côté. Et pourtant ce sont aussi des gens intelligents. Et une des critiques que vous entendrez est qu’il est nécessaire d’avoir un certain degré de hiérarchie et d’organisation, ce que selon moi, vous appelleriez, dans de nombreux cas, domination, à cause des niveaux économiques complexes de structure.

Prenons un exemple, le développement et la distribution d’un vaccin à ARN messager lors d’une pandémie nécessitent une véritable hiérarchie. Et tout le monde ne peut pas être à égalité dans la prise de décision. Il faut quelqu’un pour diriger l’organisation. Il faut quelqu’un pour diriger le laboratoire. Et cela devient compliqué si chaque décision doit être prise en partant de zéro et en temps réel. Selon vous, comment peut-on arriver au compromis entre complexité et délibération ?

 

NOAM CHOMSKY : Si tout cela se passe dans une société démocratique libre, alors je ne pense pas que cela soit un compromis. Dans une société libre on peut choisir les personnes qui auront l’autorité administrative et celles qui pourront assumer le souci du bien commun. Et on peut les révoquer. Mais ils sont sous le contrôle du peuple. Ils ne sont pas là parce que leur grand-père a construit des chemins de fer ou parce qu’ils ont parfois réussi à manipuler le marché de telle sorte qu’ils se sont retrouvés avec une tonne d’argent. Ce ‘est pas la raison de leur présence. Ils sont là par délégation de l’autorité populaire, et non en raison d’une quelconque structure de hiérarchie et de domination.

C’est ce qu’on trouve, par exemple, dans les entreprises contrôlées par les travailleurs. Certaines d’entre elles sont énormes. Prenez, par exemple, Mondragon, la plus grande d’entre elles, qui existe depuis environ 60 ans dans le nord de l’Espagne, qui est la propriété des travailleurs et qui fonctionne sous leur gestion, un énorme conglomérat, production industrielle, banques, logements, hôpitaux, tout y est. Ce n’est pas parfait, loin s’en faut, mais Mondragon repose sur le principe fondamental du contrôle démocratique populaire et de l’autorisation d’exercer des fonctions de gestion quand c’est nécessaire.

Et en fait, cela marche à peu près de la même manière dans n’importe quel laboratoire de recherche universitaire fonctionnant correctement. Peut-être que oui, on a choisi un directeur de département pour gérer le travail administratif, et si la communauté ne l’aime pas, alors on choisit quelqu’un d’autre. Ces structures de toutes natures sont certainement possibles. Elles ne sapent pas la possibilité d’une organisation. En fait, la société anarchiste devrait être hautement organisée, mais sous le contrôle populaire d’une communauté libre et informée, qui peut interagir sans qu’aucune force illégitime ne la contrôle.

 

EZRA KLEIN : Si la tendance va dans ce sens, comment l’empêcher de devenir à nouveau une démocratie représentative ?

 

NOAM CHOMSKY : La démocratie représentative n’existe pas. Prenons notre démocratie, est-ce une démocratie représentative ?

 

EZRA KLEIN : Pas vraiment.

 

NOAM CHOMSKY : Et pour de très bonnes raisons dont nous pouvons discuter ici. Mais si vous aviez une réelle démocratie représentative, alors cela ressemblerait beaucoup à cela. La communauté sélectionnerait des personnes chargées de mener à bien ce test, parce qu’elles sont douées dans ce domaine ou peut-être parce qu’elles en ont envie alors que d’autres ne le veulent pas, d’autres encore veulent autre chose. Mais ce serait sous surveillance populaire, licenciement si nécessaire, et une interaction constante. Je pense donc que la participation devrait se faire à tous les niveaux.

Maintenant, reprenons, si vous le voulez bien votre propre exemple, la distribution d’un vaccin. Eh bien, les gens devraient avoir leur mot à dire à ce sujet. Comment voulons-nous que cela se passe ? Si quelqu’un refuse de se faire vacciner, que devons-nous faire ? Voilà, ça c’est un problème réel et actuel. Près de la moitié des républicains vont refuser de se faire vacciner. Cela veut dire que nous ne sortirons jamais de la crise de la COVID parce que nous n’atteindrons jamais l’immunité collective, ce qui pourrait en faire quelque chose un peu comme la grippe, on se fait peut être vacciner tous les ans. Mais ce n’est pas mortel. Or on n’arrivera jamais à ça.

Ou encore, supposons qu’une personne dise : « Je refuse de porter un masque », alors, qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, c’est ce genre de problèmes que la communauté doit trancher. Supposons que quelqu’un dise : « Je ne vais pas respecter le code de la route, je n’aime pas ce truc là. Je vais griller les feux rouges et rouler à gauche. Je veux être libre. C’est là dessus que je dois prendre des décisions. Dire, je ne vais pas porter de masque n’est pas vraiment différent de ça. Dire, je vais aller au centre commercial, et si je vous infecte, c’est votre problème. Eh bien, il va bien falloir que les communautés prennent des décisions sur des choses comme ça.

 

EZRA KLEIN : Je suis d’accord avec vous, mais il me semble que vous avez réinventé le système de bien des manières que nous avons déjà essayées. Je veux dire, je suis d’accord pour dire que nous n’avons pas une démocratie fortement représentative, et j’ai, pour dire cela, des raisons différentes des vôtres, même si nous en partageons un certain nombre. Mais ma question porte essentiellement sur qui décide de la légitimité. Si nous revenons à un système dans lequel des gens disent, voilà, vous devez porter des masques et confiner les commerces, et d’autres personnes disent, non, c’est m’imposer une domination injuste, alors il me semble que dans ce cas nous parlons plus de changements à la marge par rapport à ce que nous avons maintenant, que si il s’agissait d’anarchisme.

 

NOAM CHOMSKY : Quoi, supprimer les contrats de travail serait marginal ?

 

EZRA KLEIN : Alors dites-moi, dans ce cas comment élimineriez-vous les contrats de travail ?

 

NOAM CHOMSKY : N’oublions pas qu’ au 19e siècle, c’est exactement ce que les travailleurs, les ouvrières, les agriculteurs voulaient faire. Ils estimaient que les partie prenantes devaient gérer leurs propres entreprises. Les groupes d’agriculteurs se réuniraient, trouveraient des moyens pour gérer leur propre coopérative en contrôlant la commercialisation et le développement. Les gens travaillant dans l’industrie des services devraient faire la même chose. C’est de cette façon là que nous pourrions évoluer vers un contrôle populaire des institutions. Le monde serait alors complètement différent de celui dans lequel nous vivons actuellement. Ce n’est pas là quelque chose de marginal.

Mais vous avez tout à fait raison de dire que les questions de conflit vont surgir tout le temps. C’est inévitable. Prenons la famille la plus heureuse du monde. Mais elle connaîtra quand même des conflits. On trouve des moyens pour les résoudre. On ne voudrait quand même pas d’un monde dont tout conflit serait absent. Ce serait d’un ennui mortel à vivre. Coexistent des opinions différentes, des attitudes différentes, des idées différentes. C’est comme ça que naît le travail créatif. C’est comme ça que les changements se produisent.

La vie devrait être structurée de sorte à ce qu’on puisse gérer les conflits de façon civilisée, comme c’est le cas, par exemple, dans une famille heureuse ou une entreprise bien gérée, dans ce département universitaire respectable, cette entreprise respectueuse appartenant aux travailleurs, dans de nombreuses structures de ce type – coopérative d’agriculteurs, associations d’agriculteurs, beaucoup de choses du même style. Nous aimerions que tout ça soit aussi structuré que possible de manière à ce qu’il y ait des échanges civilisés et bienveillants pour tenter de résoudre les problèmes qui existent.

 

EZRA KLEIN : Donc, pour une grande partie de l’économie classique, l’idée est que tout est construit ou du moins qu’une grande partie de notre économie est construite sur la liberté d’entreprendre. Et si les gens choisissent librement d’engager leur signature, alors qui sommes-nous au gouvernement ? Ou encore qui sommes-nous dans la société pour dire quoi que ce soit à ce sujet ? On utilise un concept qui existe depuis longtemps quand on étudie les critiques du capitalisme, mais qu’on n’entend pas souvent dans le courant dominant, à savoir l’esclavage salarial, en faisant valoir qu’il ne s’agit pas vraiment dans ce cas là d’un choix libre. Pouvez-vous nous parler un peu de cette idée d’esclavage salarial et de ce qui vous différencie de ceux qui pensent que notre économie est construite sur la liberté d’entreprendre ?

 

NOAM CHOMSKY : La liberté d’entreprendre est une blague. Ceux qui concluent un contrat libre ont des relations de pouvoir radicalement différentes. L’un d’entre eux déclare, je suis chez moi, et je peux prendre ton travail en location si j’ai envie de t’accepter. L’autre peut dire, j’ai le choix entre mettre mon travail en location, et là c’est une subordination au pouvoir, ou crever de faim. C’est ça, c’est la liberté d’entreprendre. Non, j’exagère. Ce n’est pas exactement comme ça. On peut nuancer tout ça. Mais fondamentalement, c’est ça.

Laissez moi vous raconter une anecdote, si vous voulez bien. Lorsque j’étais étudiant, il y a de nombreuses années, j’ai assisté à une conférence donnée par le principal gourou de ce qu’on appelle le Libertarianisme aux États-Unis, et qui est radicalement différent de la tradition Libertarienne [pour en savoir plus : https://cours-de-droit.net/la-theorie-libertarienne-et-la-theorie-interventioniste-de-john-rawls-a149223398/ ,NdT]. Il s’agit de Ludwig von Mises qui donnait une conférence expliquant en quoi le gouvernement est responsable du chômage.

Donc le problème du chômage est entièrement de la faute du gouvernement. Le gouvernement impose des choses comme le salaire minimum, les critères sur le lieu de travail, toutes sortes de choses, et cela entraîne le chômage. Parce que si nous avions une réelle liberté, une réelle liberté de signer des contrats sans interférence du gouvernement, si un mec crève de faim et qu’il pourrait obtenir un emploi pour 0,10 $ de l’heure dans des conditions horribles, il choisirait quand même cet emploi. Mais le gouvernement ne les laisse pas faire. Donc le gouvernement cause le chômage. Et c’était l’introduction à ce qu’on appelle la pensée libertarienne de droite par le grand maître.

Et en fait, c’est le point de vue de base. Si vous lisez les principaux théoriciens – James Buchanan, l’un des principaux penseurs de ce que l’on appelle ici le Libertarianisme. Je ne pense pas que ce soit ici le terme correct. Il dit, très probablement, qu’un système économique devrait être construit de manière à se conformer à la nature humaine. C’est logique. Et qu’est-ce que la nature humaine ? Il nous le dit. L’idéal le plus élevé de chaque personne est d’être le maître d’un monde d’esclaves. C’est notre plus grand idéal, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué. Et donc, il nous faut concevoir une société qui permette à chacun de poursuivre sa nature humaine fondamentale aussi pleinement que possible.

Eh bien, c’est une certaine conception. Ce n’est pas la mienne. Je ne pense pas que ce soit la vôtre. Et franchement, je ne pense pas que ce soit celle de qui que ce soit, à moins que vous ne soyez happé dans cette idéologie. Mais oui, c’est un point de vue. Et il faudrait en débattre au même titre que du point de vue des ouvriers et des fermiers de l’Amérique du 19ème siècle, qui, à mon avis, sont beaucoup plus représentatifs de ce qui est naturel pour les humains.

 

EZRA KLEIN : Eh bien, permettez-moi de vous présenter une justification des plus convaincantes pour le capitalisme parce que je suis d’accord avec vous, l’idée de liberté est quelque chose de tellement étriqué que c’en est une parodie. Je pense que l’argument le plus fort que les gens avancent pour les différentes formes de capitalisme ou d’économies mixtes telles que nous les connaissons aujourd’hui est que les mêmes incitations qui, dans de nombreux cas, mènent à l’exploitation et à l’inégalité, conduisent également à l’innovation technologique et institutionnelle.

Et de génération en génération, ce sont ces innovations technologiques, ces innovations institutionnelles qui changent réellement les conditions de vie. Je ne veux pas dire ici que le gouvernement n’a aucun un rôle à jouer, mais ce rôle est plus élémentaire. Le gouvernement finance la recherche fondamentale. Et ensuite c’est le marché qui la fait progresser. Et c’est un compromis qui vaut la peine d’être fait parce que nous renforçons le désir de statut et de réussite chez les individus et ensuite nous les exploitons pour créer la technologie qui fait avancer notre espèce. Que dites-vous de cela ?

 

NOAM CHOMSKY : Je pense que c’est tout simplement faux. Je veux dire, j’ai passé ma vie dans la principale institution de recherche du monde, le MIT et dans les laboratoires de recherche. Il vous suffit d’aller dans un laboratoire de recherche. Les gens ne travaillent pas, peut-être que les gens y passent 80 heures par semaine. Mais ce n’est pas pour gagner de l’argent. Ils pourraient gagner bien plus ailleurs. Ici il s’agit de la passion du travail. Le défi qui consiste à résoudre des problèmes. Voilà ce qui motive les gens. Cela n’a aucun rapport avec une quelconque incitation pour obtenir du pouvoir. Oui, les deux sont des motivations, mais elles sont totalement différentes.

Et je crois que si on pense à vos enfants, vous avez mentionné cette constante, pourquoi, pourquoi, pourquoi – oui, c’est ce que les gens veulent. Ils veulent comprendre le monde. Ils voient des problèmes, le problème peut être, disons, de trouver comment le virus COVID fonctionne. Cela pousse les gens à travailler dur parce qu’ils veulent comprendre. Ils se peut qu’ils ne gagnent pas un sou avec ça. Et c’est ce qui se passera pour la plupart d’entre eux. Ce que je veux dire par là, c’est que notre système est faussé, et ce système les incite à essayer de gagner de l’argent grâce à leurs recherches, mais ce n’est pas ce qui motive le travail en laboratoire.

Ou alors ça peut être de terribles problèmes mécaniques. Je n’arrive pas à faire fonctionner quoi que ce soit. Par exemple ma voiture ne marche pas. Je l’emmène chez un mécanicien. Il voit que quelque chose ne va pas, voit un problème, veut résoudre le problème, ce qui demande des compétences, une sorte d’intelligence que je n’ai pas. Mais c’est juste l’intérêt pour la résolution du problème qui devient la motivation. Bien sûr, il est payé, mais ça fait partie de la structure du système extérieur. Je ne pense pas que ce soit ce qui le motive. Quand on considère la façon dont la technologie s’est développée, c’est comme ça que ça s’est passé.

Prenons, par exemple, l’internet. En réalité ça se passait dans les laboratoires où ça fonctionnait. Et les gens étaient vraiment intéressés par le problème de l’élaboration des modes d’interconnexion, d’abord parmi les scientifiques et puis ensuite plus largement. La plupart d’entre eux sont restés des inconnus et n’ont pas gagné un sou avec ça. Même chose avec le développement des ordinateurs, même chose avec presque tout ce qui est développement technologique, même à des niveaux de gens devenus célèbres. Et prenons, disons, Einstein qui travaillait dans un bureau de brevets en Suisse, qui réfléchissait à ce qu’on pourrait observer si on voyageait à la vitesse de la lumière. Il ne faisait pas ça pour gagner de l’argent. Et c’est ainsi que tout fonctionne, depuis le niveau de vos enfants jusqu’à celui de la recherche avancée. C’est là que le développement technologique et le développement scientifique se produisent.

Maintenant, en fait, tout ça c’est faussé par les structures sociales. Et donc, au début des années 80, les lois gouvernementales ont été modifiées de sorte à ce que les universités puissent obtenir des brevets et que les chercheurs puissent obtenir des brevets concernant le travail qu’ils effectuaient. OK. Cela a eu un effet dévastateur d’appauvrissement. Cela voulait dire q’on imposait en fait une structure dans laquelle les gens travaillaient dans le but de gagner de l’argent, et non plus dans le but de résoudre des problèmes.

Et je ne sais pas comment graduer cela avec exactitude, mais j’ai l’impression que cela a eu un effet dépréciatif quant à la nature du système universitaire. Lorsqu’on impose ces contraintes externes, qui expliquent que vous devriez être comme, disons ce que James Buchanan dit que vous êtes, c’est à dire une personne dont l’idéal le plus élevé est d’être un maître d’esclaves, eh bien, vous imposez ces structures externes, cela a une influence sur tout.

 

EZRA KLEIN : Imaginons que les États-Unis aient le système social-démocrate qu’on connaît au Danemark, quels progrès faudrait-il encore faire pour arriver enfin à la société que vous aimeriez que nous ayons ?

 

NOAM CHOMSKY : Le genre de société que je voudrais voir, c’est celle que les libéraux classiques voulaient, comme John Stuart Mill, par exemple, ou Abraham Lincoln, ou même Adam Smith parmi les derniers des libéraux classiques. Ils voulaient voir une société dans laquelle, pour citer Mill, la forme naturelle d’organisation est la libre association entre les participants. Selon Mill, c’est comme ça que le système industriel devrait évoluer. C’est ce qu’ils devraient faire au Danemark.

Au lieu d’avoir une relation maître-esclave, maître-serf, si vous préférez l’appeler ainsi. Ou alors il devrait y avoir une relation de participation directe assortie d’un contrôle. Bon, peut-être que les Danois ne souhaitent pas ça. C’est à eux de voir, je ne suis pas leur maître. Mais j’aimerais que cette option soit mise en avant et débloquée, discutée, développée. Je pense que c’est sans doute l’option qu’ils voudraient, tout comme les travailleurs libres des premiers jours de la révolution industrielle. C’est exactement dans leur nature.

Et laissez-moi vous dire, encore une fois, que c’est une conception qui remonte littéralement à 2 000 ans. Il y a une nuance que je devrais apporter. Je parle de ceux qui demandent à être libérés de la dépendance, et c’est la situation la plus abominable qui soit. Ils vivaient dans des sociétés d’esclavage. Il y avait donc une catégorie de personnes dont le statut normal était d’être esclave. Ils vivaient également dans des sociétés patriarcales où le statut normal des femmes était d’être des servantes. Le discours sur la liberté n’est donc pas exempt d’une bonne dose d’hypocrisie.

 

EZRA KLEIN : Vous vous êtes décrit comme ayant une attitude plutôt conservatrice vis-à-vis du changement social. Dans quel sens votre vision du changement social est-elle conservatrice ?

 

NOAM CHOMSKY : Je ne pense pas qu’un changement social constructif significatif puisse avoir lieu à moins que la grande majorité de la population n’ait réalisé que les modifications des systèmes existants ne peuvent pas leur permettre d’ atteindre le style d’objectifs qu’ils pensent être justes et équitables. C’est seulement alors qu’on pourrait avoir un changement social radical. Si ce changement avait lieu avant cela, je pense qu’il aboutirait de nouveau à une sorte de structure autoritaire.

 

EZRA KLEIN : Pensez-vous que la gauche d’aujourd’hui a une vision trop optimiste de la célérité d’un changement social possible ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, ces choses peuvent arriver très rapidement je pense. Parce que je pense que la relation d’autorité et de domination est très ténue. Je ne pense pas qu’elle soit très solide. Les gens l’acceptent parce qu’ils ne pensent pas aux alternatives. Si des alternatives sont proposées, beaucoup de gens peuvent les accepter assez rapidement. Je pense que nous en avons vu de multiples occurrences, pas un renversement total du système, mais des changements substantiels. Prenez le cas de mon époque, il y a eu des changements majeurs. Quand j’étais enfant, au début des années 30, je suis né en 1928, la dépression, la classe ouvrière a été totalement écrasée. Les années 1920, la répression Wilsonienne, d’autres violences qui ont quasiment détruit le mouvement ouvrier, c’était un âge d’or, un peu comme aujourd’hui, une inégalité radicale, une souffrance profonde bien pire qu’aujourd’hui. C’était ça le début des années 30.

Quelques années plus tard, c’était un pays très différent. Nous sommes toujours pauvres. Ma famille était composée principalement d’immigrants de première génération, de la classe ouvrière et de chômeurs. Mais au milieu des années 30, le mouvement ouvrier s’est littéralement reconstitué à partir de ses cendres. Il y a eu des actions militantes, la formation du CIO. Ça allait jusqu’aux grèves sur le tas, qui sont juste l’étape qui précède : on n’a pas besoin de vous les patrons, on peut gérer cet endroit nous-mêmes, ça allait jusque là. Et puis on a commencé à avoir des changements brutaux, des changements significatifs. La Cour suprême a cessé de bloquer les efforts du New Deal. On a obtenu les avancées qui forment une grande partie de la base de notre alliance aujourd’hui, allant de la sécurité sociale à la TVA et bien d’autres choses entre les deux.

 

EZRA KLEIN : Laissez-moi vous demander ce qu’il en est des structures du pouvoir aujourd’hui. Compte tenu de vos attentes, comment évaluez-vous l’administration de Joe Biden jusqu’à présent ?

 

NOAM CHOMSKY : Je suis plutôt partagé. c’est assez mitigé. En matière de politique intérieure, il fait mieux que ce à quoi je m’attendais, franchement. En fait, comme le souligne Erik Loomis, Biden est le premier président, probablement depuis F.D.R., à prendre une position forte en faveur de la syndicalisation. Biden a dans son Conseil de consultants économiques des gens qui sont des économistes hétérodoxes, en rupture avec le cadre des doctrines frénétiques néolibérales. Le programme de Build Back America est un très bon programme, bien sûr. En fait, le plan de relance, qui vient d’être adopté. Il comportait de nombreux éléments positifs. Ce n’est pas arrivé là de façon miraculeuse. Ce n’est pas arrivé parce que Biden a eu une conversion religieuse. Parce qu’en fait, pendant toute sa vie il a été un démocrate conservateur, un démocrate clintonien.

Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu une pression populaire très importante. C’est là que le changement se produit. Il y a beaucoup de militantisme populaire, et cela s’est traduit par une pression sur lui-même d’une part et aussi sur toutes les questions, y compris la question la plus importante : la destruction de l’environnement. Si dans les 10 à 20 prochaines années nous ne prenons pas le contrôle de la destruction de l’environnement, nous sommes finis. C’est aussi simple que cela. Nous allons atteindre un point de basculement sans retour possible. Nous sommes confrontés à une catastrophe majeure si nous n’agissons pas maintenant. On sait ce qu’il faut faire. C’est faisable et c’est à portée de main. C’est ça qu’il faut faire.

Certes, le programme climatique de Biden est loin d’être parfait et nécessite des changements majeurs, mais il est bien meilleur que tout ce qui a précédé. Et la raison en est le militantisme populaire. C’est grâce à des groupes comme le Sunrise Movement, des jeunes qui occupent les bureaux du Congrès. Il en est ressorti quelque chose d’assez spectaculaire, une certaine forme de Green New Deal, qui est absolument essentiel pour la survie – autrement nous ne survivrons pas – est passée d’un objet de dérision tout à fait marginal, à un point inscrit à l’agenda législatif. C’est loin d’être suffisant, mais c’est un grand pas en avant. C’est comme ça que les changements se produisent.

 

EZRA KLEIN : Il faut vraiment que je vous pose une question. Que pensez-vous de la forme que prennent certaines des choses, y compris positives, qui se produisent avec l’administration Biden, et qui arrivent parfois à des moments les plus étranges comme c’est le cas par exemple pour, je pense, les théories de la politique de classe, car le parti démocrate est de plus en plus dans les mains de gens à hauts revenus, les suburbains à haut niveau d’éducation, mais dans le même temps il se déplace aussi vers la gauche de l’échiquier concernant l’économie. Je pense que, selon l’interprétation classique du phénomène, celui-ci serait basé sur la classe sociale, c’est-à-dire que plus on monte dans l’échelle des revenus, plus on devient économiquement conservateur et probablement conservateur tout court. Et plus récemment, cela ne s’est pas confirmé. Les questions de race et autres questions d’identité sont des facteurs particulièrement puissants ici.

Mais il y a une enquête du UCLA Democracy Fund [UCLA=University of California Los Angeles,NdT]. Elle a révélé que, si on prend en compte les Blancs ayant fait des études universitaires et les Blancs n’en ayant pas fait, on trouve que le nombre d’entre eux en faveur d’un salaire minimum de 15 dollars et d’une assurance maladie publique est pratiquement le même, c’est à peu près la même chose, c’est très, très similaire. Et dans certains domaines, on commence à voir des positions plus libérales ou même plus à gauche chez les personnes ayant fait des études supérieures. Et je me demande si cela ne nous oblige pas à avoir une approche différente concernant la construction d’une coalition politique. Pensez-vous qu’il est possible d’avoir une coalition différente qui permettrait d’obtenir un résultat plus à gauche que par le passé ? Et si oui, pourquoi ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, tout d’abord, nous devons garder à l’esprit que chaque exemple que vous avez donné illustre à quel point les choses se sont déplacées vers la droite de l’échiquier. Prenons le salaire minimum. Qui réclame un salaire minimum de 30 dollars de l’heure ? Eh bien, si nous avions poursuivi ce qui se passait dans les années 50, 60 et 70 avant le début de l’assaut néolibéral, le long de cette même trajectoire, qui n’a rien d’utopique, nous aurions probablement un salaire minimum de 30 dollars de l’heure. Le monde des affaires a tellement amoindri ce à quoi nous aspirions en raison de l’assaut néolibéral que c’est quelque chose dont nous ne rêvons même pas.

Prenons les soins de santé, c’est un débat assez étonnant aux États-Unis. Prenons le programme de Sanders, les soins de santé universels. Prenons ce que disent les commentateurs critiques les plus libéraux, disons ceux du New York Times. Ils disent que c’est une excellente idée, mais c’est trop radical pour le peuple américain. Nous pouvons maintenant avancer lentement. Pourquoi est-ce trop radical pour le peuple américain ? Le Mexique l’a fait. L’Allemagne l’a fait. L’Angleterre l’a fait. Le Canada l’a fait. C’est fait presque partout. Pourquoi est-ce trop radical pour le peuple américain ? Je veux dire, je pense que ce sont tous des exemples du pouvoir extraordinaire de la fabrique du consentement, des évidences ont été expulsées de l’esprit des gens, pas très loin. Je pense qu’elles peuvent revenir à la charge.

Mais quel genre de coalition avons-nous ? Eh bien, mon propre sentiment très conservateur est qu’elle sera basée sur le travail. Cela a été le fer de lance du progrès social aussi loin que l’on veuille remonter dans les temps modernes. Et je pense que cela continuera de l’être. La main-d’œuvre est différente de ce qu’elle était dans les années 30, les industries de services, la haute technologie sont omniprésentes. Mais je ne pense pas que cela change fondamentalement les choses. On peut avoir une organisation populaire de travailleurs partout. Et cela doit se construire dans la solidarité. C’est très important.

Regardons les noms des syndicats, beaucoup d’entre eux affichent « International » dans leur nom. Il faudrait en faire bien plus qu’un simple formalisme. Tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont internationaux. La pandémie est internationale. En fait, nous sommes en train de nous suicider en ce moment même dans les pays riches, les yeux grand ouverts, en sachant qu’en monopolisant les vaccins c’est ce que nous faisons. Si nous ne donnons pas de vaccins, si nous n’en distribuons pas à l’Afrique, aux pays pauvres d’Asie, la pandémie va revenir et nous frapper comme un coup de massue. Tout le monde le sait, mais nous continuons à les monopoliser.

Prenons la défense de l’environnement. Voilà quelque chose qui ne connaît pas de frontières. Il va nous falloir non seulement éliminer toute utilisation domestique de combustibles fossiles. Et cela doit être fait en une ou deux décennies. Mais il va nous falloir nous assurer que c’est le cas aussi à l’étranger.

 

EZRA KLEIN : Eh bien, vous venez d’écrire un livre à ce sujet. Pensez-vous que le système politique américain et, d’ailleurs dans ce cas précis, les consortiums politiques mondiaux sont capables de prendre en compte la crise climatique avec l’intensité et la célérité dont nous avons besoin ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, il y a deux réponses à cette question. Si la réponse est non, nous pouvons nous dire au revoir. C’est aussi simple que cela. Nous savons comment faire ça. On connaît la méthode. on sait que c’est faisable. La partie du livre écrite par mon co-auteur, Robert Pollin, un économiste finlandais qui travaille sur ce sujet depuis des années, nous présente des méthodes parfaitement réalisables. Nombre d’entre elles sont actuellement mises en œuvre, et pourraient permettre de surmonter la crise de manière totalement réaliste et amener un monde meilleur. D’autres ont fait des choses tout à fait semblables.

Jeff Sachs, de l’Institut des sciences de la Terre de Columbia, a des modèles quelque peu différents. Ils sont arrivés à peu près à la même conclusion. C’est réalisable. Nous savons que cela doit être fait. Ceux d’entre nous qui sont prêts à faire face à la réalité savent que cela doit être fait dans les deux prochaines décennies. Venons en alors à votre question : les êtres humains sont-ils en mesure d’échapper au suicide des espèces ? C’est à ça que revient votre question. Et je ne connais pas la réponse à cette question. Personne ne le sait.

EZRA KLEIN : Que pensez-vous du mouvement de la décroissance ?

 

NOAM CHOMSKY : Il y a quelque chose là dedans, mais la résolution de la crise climatique passe par la croissance. Elle nécessite le développement de systèmes énergétiques alternatifs. C’est un travail énorme. Cela signifie reconstruire des bâtiments, des villes. Cela signifie des transports en commun à grande échelle et efficaces. Tous les types de croissance sont nécessaires. Ce qu’il nous faut, c’est le type de croissance approprié, pas le style consommation dans le gaspillage pour jeter le lendemain, pas l’emploi de plastiques non biodégradables, pas les processus agricoles destructeurs, les processus agricoles à haute teneur en engrais qui détruisent la terre. Il faut donc une croissance de qualité.

 

EZRA KLEIN : Et que pensez-vous des solutions technologiques plus ambitieuses que les gens veulent tenter ? Il y a des choses comme la géo-ingénierie solaire, où l’on projette des particules dans le ciel pour rendre l’atmosphère plus réflective [type de géo-ingénierie dans lequel le rayonnement solaire est réfléchi dans l’espace pour limiter le réchauffement climatique. Les méthodes les plus discutées sont l’injection d’aérosols dans la stratosphère et l’éclaircissement des nuages marins,Ndt]. Étant donné l’acidification des océans, il n’est pas certain que nous ayons les moyens d’y arriver, mais c’est sûr, il y a des gens qui essaient de trouver des solutions. Certains affirment que la solution ne passera pas tant par un changement politique que par une utilisation plus agressive de la technologie de l’environnement, de manière plus volontariste que ce que nous avons fait jusqu’à présent. Quelle est votre position à ce sujet ?

 

NOAM CHOMSKY : Tout d’abord, je tiens à préciser que ce que je pense n’a pas vraiment d’importance.

 

EZRA KLEIN : Bien sûr. Mais moi, cela m’intéresse.

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, pour de bonnes raisons, cela nécessite une expertise technique. Je veux dire, je suis capable de lire des articles de physique, mais je ne comprends pas ce qu’ils racontent. Et donc, je n’ai pas l’expertise suffisante pour répondre à la question. Cependant, on peut trouver des réponses. Il y a des tas d’endroits où cette question est abordée en long et en large. La revue généraliste la plus importante sur ce sujet est sans doute The Bulletin of Atomic Scientists [ De nombreux articles sont traduits sur le blog Les-Crises, NdT]. Il y a un long article du professeur de physique d’Oxford Raymond Pierrehumbert, l’une des figures de proue du rapport du GIEC, qui traite exactement de ce sujet. Il passe en revue les technologies alternatives qui sont proposées et analyse leurs avantages et leurs inconvénients. Quand on lit ça, on a l’avis d’un expert, pas le mien. En substance, il précise que beaucoup de choses nous sont inconnues. Il s’agit en partie d’un coup d’épée dans l’eau.

Mais il dit aussi qu’une chose est plutôt sûre. Si on projette des particules d’aérosol dans l’air pour réduire la lumière du soleil, elles y resteront à jamais. On ne peut pas les retirer. Si on le faisait, on irait à la catastrophe. Cela veut dire que le changement qu’on fait dans l’ensemble du monde écologique est permanent. Et toute modification serait ensuite désastreuse. C’est un poids énorme à laisser aux générations futures.

Le second point concerne tout simplement l’échelle de temps. Nous avons environ deux décennies pour répondre à ces questions. Ces évolutions, même si elles sont réalisables, même si c’est la bonne chose à faire, en oubliant tous les doutes qu’on peut avoir, ne donneront pas de résultats dans un délai acceptable. En fait, c’est l’une des choses qui ne va pas avec le programme Biden. Une partie du programme de Biden, qui implique une sorte de retenue vis à vis des compagnies pétrolières et autres industries de combustibles fossiles, consiste à mettre l’accent sur la haute technologie et les changements potentiels de type ingénierie. Ce n’est pas pertinent pour la crise climatique. Même si c’est faisable, ce n’est pas la bonne échelle de temps.

C’est un peu comme ces gens de gauche qui nous expliquent qu’on ne résoudra pas la crise climatique tant qu’on ne sera pas débarrassés du capitalisme. Que le capitalisme est intrinsèquement autodestructeur. Eh bien, il y a quelque chose dans cet argument qui n’est tout simplement pas pertinent. Dans les délais nécessaires pour résoudre ce problème, il n’existe aucune possibilité envisageable pour le type de changement social dont ils parlent. Il nous faut donc être prêts à faire face à la réalité sur ces questions également. Nous avons des problèmes qui sont imminents, urgents. Une à deux décennies, c’est urgent. Cela ne signifie pas que tout le monde va mourir dans 20 ans. Cela veut dire que des processus qui vont s’enclencher ne seront pas réversibles. Et ensuite, ce n’est qu’une question de temps avant que tout ne soit terminé.

Nous sommes actuellement dans une position où c’est maintenant, immédiatement, au cours de la génération actuelle que nous devons résoudre ce problème. Et si les solutions de géo-ingénierie ne marchent pas, cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter d’y travailler. On a annoncé un nouvel effort expérimental gouvernemental en matière de fusion, il mérite d’être poursuivi. Si nous arrivons un jour à obtenir la fusion, beaucoup de problèmes seront résolus. Mais nous n’allons pas obtenir ça à une échelle pertinente et dans le délai imparti pour résoudre ce problème.

 

EZRA KLEIN : Laissez-moi vous interroger sur une autre technologie dont vous avez dit qu’elle pourrait résoudre de nombreux problèmes. L’automatisation est généralement perçue comme un facteur de perte d’emplois. J’ai vu qu’on pouvait en parler d’une façon intéressante, optimiste, expliquant que si elle était encadrée par de bonnes mesures politiques, elle pourrait nous garantir un avenir meilleur, qui sur le plan économique soit plus respectueux des individus. Quel est votre point de vue sur l’automatisation et son rôle dans l’avenir de l’économie ?

 

NOAM CHOMSKY : Tout travail sur terre qui se révèle être ennuyeux, destructeur et dangereux devrait être automatisé dans la mesure du possible. Cela libère les gens pour qu’ils aient un travail de qualité, un travail plus créatif, un travail plus épanouissant, un travail plus sûr. C’est donc une bonne chose. Les modalités autour de l’automatisation relèvent d’une question de politique sociale et économique. Elle peut prendre de nombreuses formes. Permettez-moi de mentionner une importante étude approfondie, réalisée par un de mes anciens collègues, David Noble, historien de la technologie, malheureusement décédé il y a quelques années, qui a montré quels sont les choix possibles. Son principal travail portait sur l’industrie des machines-outils, qui est au cœur d’une grande partie du capitalisme industriel moderne.

Dans les années 1950, l’industrie des machines-outils commençait à être automatisée. Le traitement numérique faisait son apparition. L’informatique se développait. Il y avait des vagues de changement dans le secteur des machines-outils grâce à l’arrivée de ces nouveaux outils. On avait deux façons de prendre ça en compte. Les deux ont été expérimentées. D’une part, des machinistes non-qualifiés remplaçaient les machinistes qualifiés, tout d’abord grâce à l’automatisation, mais aussi en transformant les gens eux-mêmes en robots, qui n’avaient qu’une chose à faire, suivre les instructions etc. C’était une façon de faire. L’autre façon de faire consistait à accorder plus de pouvoir aux machinistes qualifiés. OK. Toujours en utilisant la même technologie. Comme Noble le montre de manière assez convaincante, aucune raison économique ne justifiait le choix de la première option. C’est pourtant ça qu’on a choisi, cest ça qu’on a choisi. C’est comme ça que le choix s’est fait, simplement pour des raisons de pouvoir.

La classe dirigeante propriétaire veut déqualifier les gens, en faire des sujets subordonnés, soumis, et surtout pas des agents et acteurs indépendants. Alors le mode d’automatisation qui a déqualifié les machinistes qui étaient encore là est celui qui a été choisi, ceux qui n’étaient pas qualifiés, et en a fait de simples serviteurs plutôt que des contrôleurs et des acteurs. C’est ça qui se passe tout le temps. Prenons un autre exemple. En 2009, l’économie s’effondrait. L’industrie automobile était pratiquement en faillite. Elle a été plus ou moins nationalisée, pour appeler les choses par leur nom. Mais en gros, l’administration Obama a récupéré la plus grande partie de l’industrie automobile.

Eh bien, il y avait deux choix possibles. L’un d’entre eux consistait à rendre l’entreprise à ses anciens propriétaires, à les renflouer, c’est-à-dire à faire payer les contribuables, et à terme leur redonner la propriété et le contrôle, peut-être avec des visages différents mais la même classe dominante, les conduisant à faire de nouveau ce qu’ils faisaient auparavant, à savoir produire des voitures qui créent des embouteillages, de la pollution et détruisent l’environnement. C’était un des choix possible. Celui qui a été retenu. Or il y avait un autre choix. Confier l’industrie automobile aux employés, aux parties prenantes, à la communauté. Leur laisser le contrôle. Laissez-les réfléchir à ce qu’ils devraient faire. Peut-être après tout décideraient-ils de ce qu’il est raisonnable de faire.

 

EZRA KLEIN : Je vais m’assurer que nous ayons le temps de parler un peu de politique étrangère avant de nous quitter. Je vais donc commencer par là. Il y a quelques minutes, nous avons parlé du plan américain pour l’emploi que le président Joe Biden a présenté. Une grande partie de ce plan est formulée en termes de concurrence avec la Chine. Il s’agit d’émousser l’ascendant de la Chine ou du moins de maintenir notre position géopolitique centrale. Que pensez-vous de la Chine en tant que concurrente économique et géopolitique ? Doit-on la considérer comme une menace pour nous ? Dans le contexte actuel, ne devrions-nous pas re-considérer cela ? Quel genre de relation aimeriez-vous que nous ayons avec la Chine ?

 

NOAM CHOMSKY : Tout le monde en parle en terme de menace. Quand tout le monde dit la même chose à propos d’un sujet complexe, ce qui devrait venir à l’esprit c’est, minute, rien ne peut être aussi simple que ça. Il y a quelque chose qui ne va pas. C’est le clignotant qui devrait immédiatement s’activer dans votre cerveau quand on a une telle unanimité sur un sujet complexe. Alors la question à se poser est : quelle est la menace chinoise ?

 

EZRA KLEIN : Je vais vous donner la réponse qu’on m’a donnée parce que mon point de vue sur le sujet est plutôt compliqué. Ce qu’on m’a répondu, c’est que, tout particulièrement au cours de la dernière décennie, la Chine a évolué dans une direction beaucoup plus autoritaire. Elle est devenue plus expansionniste, sur le plan intérieur, je veux dire. Elle est devenue plus expansionniste dans la mer de Chine méridionale et a lancé une campagne de répression intérieure effroyable contre les Ouïghours. Et donc, dans la mesure où vous voulez qu’il y ait une méga-économie qui fixe des règles et des structures internationales, la direction que prend la Chine la rend effrayante, mais plus effrayante encore pour elle-même si elle devait être celle qui fixe les règles à l’avenir. Voilà, je pense, le raisonnement qui a été avancé.

 

NOAM CHOMSKY : La Chine accroît son autoritarisme intérieur. Je pense que ça c’est plutôt négatif. Est-ce une menace pour nous ? Non, ce n’est pas une menace pour nous. Prenons ce qui se passe avec les Ouïghours. Il est assez difficile d’obtenir des preuves, mais elles sont suffisantes pour démontrer qu’une répression très sévère est en cours. Laissez-moi vous poser une question simple. La situation des Ouïghours, un million de personnes qui sont passées par des camps d’éducation, est-elle pire que la situation de, disons, deux millions et donc deux fois plus de gens à Gaza ? Je veux dire, les Ouïghours voient-ils leurs centrales électriques détruites, leurs stations d’épuration détruites, sont-ils soumis à des bombardements réguliers ? Est-ce que c’est cela qui leur arrive ? Pas à ma connaissance.

Alors oui bien sûr, des choses comme ça ne devraient pas se passer. Nous devrions manifester. Il y a une différence cruciale par rapport à Gaza. Dans le cas des Ouïghours, il n’y a malheureusement pas grand chose que nous puissions faire. Dans le cas de Gaza, nous pouvons tout faire puisque nous en sommes responsables, nous pouvons arrêter tout ça dès demain. C’est là toute la différence. D’ACCORD ? Donc oui, c’est une très mauvaise chose parmi d’autres mauvaises choses dans le monde. Mais dire que c’est une menace pour nous est quand même quelque peu trompeur.

Eh bien alors, parlons du seul cas d’expansionnisme, qui est manifeste. La mer de Chine méridionale, c’est réel. La Chine prend des initiatives qui sont des violations du droit international. Elle essaie de prendre le contrôle de la mer de Chine méridionale. Ou, pour le dire autrement, elle essaie de faire ce que nous faisons dans tous les océans du monde, y compris dans le Pacifique occidental. C’est ça que les Chinois essaient de faire dans la mer de Chine méridionale. Et ils ne devraient pas le faire. C’est certain. Mais c’est d’une importance cruciale pour leur sécurité. C’est par là que passe tout leur trafic commercial – mer de Chine méridionale, détroit de Malacca, or ceux-ci sont contrôlés par des ennemis ou des alliés des ennemis de la Chine. Donc oui, ils ne font pas ce qu’il faut là-bas. Mais c’est quelque chose qui nous est quand même un peu familière parce que c’est ce que nous faisons partout dans le monde, OK ? Et ça, c’est le genre de menace qui doit être abordée dans le cadre de la diplomatie et les négociations.

 

EZRA KLEIN : Donc ce que je veux dire, c’est que je suis d’accord avec une grande partie de ce que vous avez dit ici. C’est pourquoi j’ai dit que mon point de vue dans ce débat était très compliqué. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles la Chine a tort, mais il semble quand même un peu étrange de penser que l’Amérique va aller dire aux gens qu’ils n’ont pas un intérêt national légitime quand il s’agit de contrôler les voies navigables limitrophes.

Mais si la conversation nous amène au coeur du problème, je pense que la menace que le gouvernement américain ressent est que l’Amérique va perdre sa prééminence mondiale. Et ils préféreraient, et je pense qu’en tant qu’Américain, je préférerais probablement aussi , que l’Amérique conserve davantage de leadership que la Chine sur le système international. Je suis relativement convaincu que je préfère les valeurs américaines telles qu’exprimées par notre gouvernement aux valeurs chinoises. Mais je pense aussi que c’est la question que je veux vous poser : pensez-vous que l’Amérique a un intérêt légitime à essayer de maintenir sa prééminence géopolitique ?

 

NOAM CHOMSKY : Je ne pense pas que nous puissions aller aussi vite que ça. Pratiquement pour chaque phrases que vous exprimez, il nous faut nous poser des questions. Quand nous dirigeons le monde, quelles sont les valeurs américaines que nous imposons ? Tout près de nous, prenons l’Amérique latine. Quelles sont les valeurs américaines que nous avons affichées ? Des crimes odieux et des atrocités, ce sont là nos valeurs, celles que nous imposons. A Gaza, ce dont je viens de parler, ce sont nos valeurs. Et c’est ce que nous imposons. Donc quand nous parlons de nos valeurs, mettons nous d’abord d’accord sur ce qu’elles sont.

Il se trouve que j’ai donné une conférence à des universitaires latino-américains il y a quelques jours. Et j’ai abordé un débat qui en fait était paru dans le New York Times et qui allait dans ce sens : un écrivain, spécialiste de politique étrangère a écrit quelque chose sur le danger que cela représenterait si les États-Unis n’étaient pas en mesure de transmettre leurs valeurs au monde. Ils ont tous éclaté de rire. Et ils savent exactement en quoi consistent les valeurs américaines, pas la rhétorique, la réalité des faits, OK ?

Alors, tout d’abord, un pays devrait-il être en position de domination dans le monde ? Je ne le pense pas. Faut-il que ce soit un pays qui a un historique de destruction, de violence et de répression ? Non, pas du tout. Est-ce que ce devrait être la Chine ? Non, certainement pas. Y a-t-il un signe quelconque de prise de contrôle du monde par la Chine ? Pas à ma connaissance. La mer de Chine méridionale, oui. Et ils ne devraient pas faire ça. Et c’est par la diplomatie et les négociations que nous devrions gérer la question, comme beaucoup d’autres choses dans le monde. Une grande partie de leurs autres activités s’apparente à ce que nous appelons le soft power. Donc l’initiative « Belt and Road » [Nouvelle route de la soie, NdT] est du soft power. Nous pensons peut-être que ça ne va pas dans le bon sens. Mais c’est pourtant le genre de choses que nous approuvons quand c’est nous qui le faisons.

Donc je continue de m’interroger, où est la menace ? Je n’aime pas ce qui se passe en Chine. Je pense que c’est pourri. C’est l’un des gouvernements les plus répressifs au monde. Mais je pose une autre question, à l’unanimité, sans aucune exception, nous parlons de la menace chinoise, de quoi parlons-nous ? En fait, en règle générale, si on discute de quelque chose comme si c’était évident, on n’a pas besoin d’en parler, tout le monde est d’accord, mais on sait que c’est compliqué. Dans une telle situation, nous devrions nous demander ce qu’il se passe. Rien de compliqué ne peut atteindre ce degré d’unanimité. Il y a donc bien une arnaque en cours.

 

EZRA KLEIN : Quelle est la probabilité, selon vous, qu’une bombe nucléaire soit utilisée au cours d’un combat au cours de la prochaine décennie ?

 

NOAM CHOMSKY : Eh bien, on ne peut pas faire de prédiction et dire en toute confiance qu’une bombe atomique ne sera pas utilisée. Parce que si elle est utilisée, il ne restera plus personne pour s’en soucier. Donc personne ne pourra montrer que la prédiction était fausse. Non, j’exagère. Ce serait un conflit nucléaire entre grandes puissances nucléaires. On pourrait avoir, disons, l’Inde et le Pakistan entrant dans un conflit nucléaire, ce qui anéantirait probablement l’Asie du Sud, mais des gens survivraient ailleurs. S’il y avait un conflit nucléaire entre la Chine et les États-Unis ou la Chine et la Russie, cela reviendrait à dire que tout est fini. Je veux dire, il y aurait des survivants, mais personne ne veut vivre dans un monde tel que celui qui subsisterait.

Maintenant, jetons un coup d’œil à la stratégie américaine. Prenons la posture stratégique telle que décrite par Jim Mattis, la personne saine d’esprit de l’administration. Si on lit entre les lignes; alors on voit qu’il s’agit surtout de se préparer à une guerre nucléaire contre la Chine et la Russie ensemble. En d’autres termes, ce qu’il dit, c’est préparons-nous à l’extinction totale de la société humaine. Je veux dire, quand on dit cela, est-ce un tant soit peu sain d’esprit ?

Trump a systématiquement éliminé étape par étape ce qui restait du contrôle des armements, qui avait été à grand peine mis en place depuis Eisenhower en fait, étape par étape, petits pas, progrès, et ainsi de suite. Allez, on se débarrasse de tout ça morceau par morceau. La boule de démolition doit entrer en action et tout abattre.

Biden est arrivé au pouvoir juste à temps pour pouvoir accepter les offres russes de maintenir le nouvel accord START, qui n’est pas un grand accord, mais au moins c’est quelque chose. Il était évident que Trump n’allait pas le signer. Pendant ce temps, les États-Unis et d’autres pays, la Russie et la Chine, mais surtout les États-Unis, ont développé de nouvelles armes de destruction massive et l’ont fait d’une manière hautement provocatrice.

Donc on en revient à août 2019, lorsque Trump a démantelé le traité INF [Le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire est un traité visant le démantèlement par les États-Unis et l’URSS d’une catégorie de missiles emportant des charges nucléaires ou conventionnelles,NdT], le traité Reagan-Gorbatchev, qui s’est montré très efficace pour faire reculer la guerre en Europe. Il l’a éliminée. Qu’a fait Trump ? Il n’a pas simplement dit que nous démantelions le traité. Immédiatement, dans les jours qui suivaient, les États-Unis ont lancé un missile test, et cela en violation du traité. Cela revenait à dire aux Russes, hey, les gars, allons-y. Allons-y et voyons si nous pouvons nous détruire mutuellement.

Je veux dire, ça c’est le comportement de gens qui sont déments. En aucun cas est-il possible de mener une guerre nucléaire avec un adversaire, quelle que soit sa capacité. C’est aussi simple et clair que cela. La destruction serait si énorme que vous ne voudriez même pas vivre dans ce monde là. On ne peut même pas l’envisager. Le fait de même simplement encore parler de ça est ahurissant.

On doit ajouter qu’ il existe une solution. Il existe un traité international qui vient d’être accepté par l’Assemblée générale des Nations unies il y a quelques mois, le Traité d’interdiction des armes nucléaires. Interdiction, cela veut dire qu’on ne peut ni en fabriquer ni en stocker. Interdiction, cela veut dire qu’on s’en débarrasse.

Eh bien, malheureusement, aucune des puissances nucléaires n’a rejoint l’accord. Mais si les États-Unis veulent faire preuve de ce rôle de leader dont les intellectuels américains aiment parler, OK, voici une façon d’y arriver. Prenons l’initiative et soyons la puissance qui fait des efforts pour aller vers l’adhésion à ce traité d’interdiction des armes nucléaires.

Je veux dire, je tiens à préciser que ce n’est pas là une position extrême. Elle a été défendue par des gens comme Henry Kissinger, George Shultz, ancien secrétaire d’État sous Reagan, Sam Nunn, des gens qui ont été au cœur du système des armes nucléaires. Ils ont compris qu’on ne peut tout simplement pas avoir de guerre nucléaire. Et il nous faut faire des efforts pour éliminer tout risque.

Il y a une autre façon de faire, une façon très efficace – établir dans le monde des zones libres de toute arme nucléaire. Ça ne met pas fin au problème, mais ça le limite. Et cela indique aussi symboliquement, et ce n’est pas négligeable, indique que nous voulons nous extraire de tout ça. Que c’est quelque chose de vraiment mal. Que nous ne voulons pas en faire partie.

 

EZRA KLEIN : Voilà une conclusion qui donne à réfléchir. Quels sont les trois livres qui vous ont influencé et que vous recommanderiez à nos auditeurs ?

 

NOAM CHOMSKY : Si je regarde en arrière, il y a quelques livres qui ont eu un impact majeur sur ma vie. L’un d’eux a été le livre d’André Schwarz-Bart à la fin des années 50 « Le dernier des justes« . Un livre stupéfiant, qui a eu un impact énorme. Un autre livre de ce style, le genre que vous lisez et qui vous laisse pantois pendant plusieurs jours, est l’autobiographie de Nate Shaw. J’ai oublié le titre. Ancien esclave [ Petite erreur de Noam Chomsky; Nate Shaw ou Ned Cobb était fils d’esclave et son livre est All God’s Dangers: The Life of Nate Shaw,NdT] .

Si je remonte à ma petite enfance, certaines des lectures qui ont eu un impact durable, et je ne pense même pas qu’elles étaient en anglais, ont été les essais en hébreu d’un essayiste du début du siècle qui s’appelait Ahad Ha’am et qui a écrit des articles en partie sur des contributions intellectuelles qui étaient significatives, en partie sur la situation qui se développait dans ce qui était alors la Palestine, ce qui a eu un grand effet sur ma pensée depuis lors. Et je pourrais en citer beaucoup d’autres.

 

EZRA KLEIN : Noam Chomsky, merci beaucoup.

 

NOAM CHOMSKY : Yeah.

 



05/07/2021
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