La presse a fait Macron: des articles pour nourrir votre réflexion.


Quand on a dit "Les médias ont fait Macron", ou "la presse est aux ordres", on a l"impression d'avoir tout dit. Les choses ne sont pourtant pas si simples, et quelques éléments supplémentaires pour enrichir notre réflexion peuvent se révéler fort utiles.

J'ai donc réuni ici 4 articles sur cette thématique. Leur lecture vous passionnera j'en suis certain.

 


 

Presse bourgeoise, ultralibérale, aux ordres… État des lieux et perspectives avec Alain Accardo

https://static.blog4ever.com/2012/01/636480/a_6657435.giflain Accardo est sociologue, maître de conférences à Bordeaux-Montaigne et chroniqueur régulier pour l’excellent mensuel « La Décroissance ». Il vient de faire paraître, dans la collection Cent mille signes des éditions Agone, un essai intitulé « Pour une socioanalyse du journalisme ». Pour ce spécialiste de Pierre Bourdieu, hors de question de penser que les journalistes participent à un grand complot pour protéger l’ordre libéral établi ou qu’ils obéissent docilement aux injonctions de leurs richissimes actionnaires. Selon lui, les journalistes se contentent simplement d’être eux-mêmes, c’est-à-dire une « fraction emblématique de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle », qui est née dans le système, en vit et tient à le faire perdurer. Par son analyse aussi pertinente qu’originale, Alain Accardo nous livre un état des lieux saisissant de la presse actuelle, qui parlera à n’importe quel pigiste précaire, mais également des pistes − possibles, exigeantes, radicales − pour mettre en place, demain, un vrai service public d’information.
Le Comptoir : Dans votre livre, vous dépeignez avec précision comment la majorité des journalistes actuels est acquise à ce qu’on appellera, grosso modo, l’ordre libéral établi. Mais, en tant que chroniqueur régulier du mensuel La Décroissance, vous n’êtes pas sans savoir que des médias alternatifs se développent sans cesse. Ne peut-on pas pointer une certaine responsabilité du lecteur − quand il lit encore ! − qui préfère se tourner vers des contenus qui ne le satisfont pas, plutôt que vers des contenus de qualité mais dont il déplore le prix ?

Alain Accardo : Les deux enquêtes qui sont à la base de cet ouvrage ont eu lieu dans les années 1990. Elles visaient donc l’information journalistique telle qu’elle était faite par la presse écrite traditionnelle, quotidienne et magazine, et surtout par la presse audio-visuelle des chaînes de télévision publiques et commerciales et des stations de radio. Les médias alternatifs n’avaient pas encore pris une grande importance, il n’y avait pas d’accès généralisé à l’Internet, pas de réseaux sociaux, pas d’information en ligne, etc. Toutes ces innovations n’ont d’ailleurs pas changé le problème fondamental, celui de la démocratisation réelle de l’information.

L’explosion du numérique a entraîné une évolution de la situation caractérisée, entre autres, par l’aggravation des difficultés de la presse écrite, mais l’inévitable adaptation des médias de presse aux nouvelles technologies n’a pas provoqué, pour autant qu’on puisse le mesurer, sur le plan de l’emploi, un appel d’air comparable à celui qu’avait provoqué en son temps la mise en place d’une information radiophonique puis télévisée. Les effectifs journalistiques semblent s’être stabilisés (vers 37 000 selon la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels) alors que la demande d’embauche est devenue pléthorique, et surtout que l’emploi de journalistes est allé en se précarisant toujours davantage, conformément à la tendance généralisée, dans l’ensemble du monde industrialisé, de toutes les productions soumises à la loi du marché, celles où l’emploi devient inévitablement la variable d’ajustement et l’employé un produit jetable.

L’information est une marchandise comme les autres et sa production, l’affaire d’une industrie comme les autres, aux mains de puissants groupes industriels et financiers, ou aux mains de l’État capitaliste qui fait fonctionner le public sur le modèle du privé. Par rapport à ces mastodontes, les médias alternatifs ne peuvent faire le poids, ni par l’audience ni par le prestige social. Le type de journalisme le plus connu du grand public demeure celui qui a cours dans les rédactions des télés et des radios, où s’empressent désormais même les journalistes de la presse écrite. La capacité de ce type de journalisme à apparaître comme LE journalisme par excellence, est évidemment liée à la possibilité dont il use et abuse quotidiennement de se mettre lui-même en vitrine, de soigner sa propre mise en scène et de s’auto-célébrer en permanence, pour ne rien dire de la place démesurée prise par cette activité et ceux qui l’exercent, dans la fantasmagorie littéraire romanesque et cinématographique et par là, dans l’imaginaire collectif.

Cela dit, je voudrais m’arrêter un instant sur l’idée, implicitement contenue dans votre question, que les médias alternatifs produisent, sinon de la bonne information, du moins de l’information meilleure. Cela est vrai de certains, pas de tous. Un trop grand nombre de ceux qui sont relégués, ou se mettent eux-mêmes, en marge du système médiatique, ne proposent en fait d’alternative au modèle dominant, que de simples variantes distinctives qui restent fondamentalement fidèles aux stéréotypes traditionnels profondément inscrits dans l’ethos et l’habitus journalistiques. C’est pourquoi j’ai insisté dans mon travail sur la nécessité pour les membres de la corporation tout entière de procéder à une auto-socioanalyse permanente et sans complaisance pour apprendre à discerner en quoi et dans quelle mesure chacun(e) est une créature du système, comme nous le sommes tous et toutes avant tout effort d’auto-réflexivité, toujours trop tardif, toujours pénible et toujours incomplet.

Il y a finalement assez peu d’originalité dans les médias alternatifs en dehors des innovations technologiques et leurs journalistes, tout comme leurs homologues de la presse institutionnelle, sont trop souvent enclins à confondre les contestations dans le système avec la contestation du système, comme ils tendent à confondre réactions de révolte morale ou de compassion humanitaire avec pensée politique. D’où une vision toujours aussi brouillée et impressionniste de la réalité des rapports sociaux sauf chez les journalistes (les moins nombreux) capables d’analyser le monde social en termes de classes. Il reste beaucoup à faire aux journalistes pour apprendre à décoloniser leur subjectivité et à se défaire de l’emprise du système. Mais cela ne peut s’apprendre, et pour cause, ni en école de journalisme ni en IEP [Institut d’études politiques, NDLR].
Vous n’êtes d’ailleurs pas tendre avec les écoles de journalisme, que vous accusez de négliger la culture générale et d’être « plus préoccupées du placement professionnel de leurs diplômés […] que de la qualité réelle de leur formation générale supposée satisfaisante ». Vous appelez donc à créer « un réseau d’écoles de journalisme qui − à la différence des médiocres écoles actuelles ne seraient pas des officines […] fonctionnant toutes pour un marché du travail dominé et régenté par le patronat de presse ». Mais, plus que les seules écoles de journalisme, il semble que ce soit aujourd’hui l’ensemble du système éducatif français qui souffre d’un niveau insuffisant, d’une médiocrité généralisée et de la disparition de la culture générale (on pensera à l’essai de Jean-Claude Michéa sur L’Enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes). Comment les nouvelles formations que vous proposez pourraient-elles combler de telles lacunes ?

Comment pourrait-on être tendre avec les écoles de journalisme quand on a eu la possibilité d’observer de près, pendant des années, leur mode de fonctionnement et les résultats de leur travail ? Au demeurant, c’est chez les journalistes eux-mêmes que l’on trouve les critiques les plus saignantes relativement à la formation et aux écoles. Ma critique à moi présente cette particularité qu’elle ne se borne pas à pointer en les déplorant les insuffisances et les travers des pratiques journalistiques, mais qu’elle s’efforce de comprendre ce phénomène d’un point de vue sociologique. Il ne vous aura sans doute pas échappé que l’objet central de mon travail, c’est l’étude, dans une optique qui se veut bourdieusienne (mais pas seulement), de ce vecteur sociologique majeur de la modernité qu’est la classe moyenne, et du fer de lance de cette classe, la fraction moderniste que constitue la petite bourgeoisie nouvelle. La corporation journalistique en est une composante représentative.

En étudiant le microcosme journalistique, je pense qu’on peut, plus largement, comprendre comment le modèle américain du libéralisme débridé a réussi à pénétrer les mentalités des classes moyennes occidentales ou occidentalisées et à faire de celles-ci, dans l’ensemble et non sans contradictions, des servantes zélées du système...

 

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« Les médias ne sont plus que très accessoirement des facteurs de l’utilité publique »

 

https://static.blog4ever.com/2012/01/636480/m_6657448.giferdias », « journalopes », « vendus »… Les réseaux sociaux ne sont jamais avares de mots durs envers les journalistes. Pourquoi tant de haine, se demandent ces derniers ? La période qui a précédé les élections présidentielles n'a, de ce point de vue, pas été en reste et la défiance envers les médias a largement été de mise, au fur et à mesure que se multipliaient les unes des magazines consacrées à Emmanuel Macron. Avant le second tour, qui oppose le candidat d'En Marche ! à Marine Le Pen, nous avons donc souhaité nous entretenir avec Alain Accardo, sociologue et maître de conférences à Bordeaux III, afin d'analyser le « système médiatique » à l'œuvre. Ce spécialiste de Pierre Bourdieu vient en effet de faire paraître, dans la collection Cent mille signes des éditions Agone, une réédition d'un de ses textes de 2007, sous le titre « Pour une socioanalyse du journalisme, considéré comme une fraction emblématique de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle ».

Si Accardo rappelle la mainmise de grands groupes industriels et financiers sur la majorité des médias, il refuse de faire des journalistes des pantins soumis aux ordres, protégeant sous la contrainte l'ordre (libéral) établi. Au contraire, et c'est là la pertinence de son analyse, qui prend en compte à la fois le poids des structures et la contingence des actions individuelles : sous couvert de démocratie et de pluralisme, les journalistes tiennent, peu ou prou, le même discours car ils pensent tous, peu ou prou, la même chose, et qu'ils viennent tous, peu ou prou, des mêmes milieux. Alain Accardo l'affirme : « Cette dialectique de la diversité dans l'uniformité idéologique tient fondamentalement au fait que les médias journalistiques s'adressent aux différentes fractions des classes moyennes et des classes supérieures, où se recrutent d'ailleurs, très majoritairement, les journalistes eux-mêmes. Il est donc compréhensible que les médias reflètent la diversité effective des intérêts et des valeurs de ces différents groupes sociaux. »

Non, les journalistes ne sont pas des marionnettes soumises aux ordres des actionnaires richissimes qui détiennent leur rédaction. Non, ils ne passent pas leur journée à comploter sciemment pour diffuser des informations erronées. Leur discours est biaisé car leur point de vue l'est de fait, et leur unanimité sur le « phénomène Macron » l'illustre parfaitement : « La représentation médiatique du monde, telle qu'elle est fabriquée quotidiennement par les journalistes, ne montre pas ce qu'est effectivement la réalité mais ce que les classes dirigeantes et possédantes croient qu'elle est, souhaitent qu'elle soit ou redoutent qu'elle devienne. Autrement dit, les médias dominants et leurs personnels ne sont plus que les instruments de propagande, plus ou moins consentants et zélés, dont la classe dominante a besoin pour assurer son hégémonie. » J'ai rencontré Alain Accardo pour en savoir un peu plus.

VICE : Durant la campagne – et même avant – de nombreux observateurs ont évoqué l'omniprésence d'Emmanuel Macron dans les médias, et un traitement, disons, assez favorable. Des unes de magazines aux éditos dithyrambiques – on pensera à celui de Matthieu Croissandeau, directeur de la rédaction de L'Obs – Macron était partout. Selon vous, les journalistes ont-ils fabriqué le présidentiable Macron, pourtant inconnu il y a encore trois ans ?
Alain Accardo : On pourrait effectivement dire que « les journalistes ont fabriqué le présidentiable Macron » comme ils ont fabriqué tout le reste, ou plus exactement que le travail des médias a été décisif dans l'imposition de la figure de Macron comme candidat crédible, capable de « rassembler au-delà des vieux clivages traditionnels », d'abord sur la seule foi des proclamations de l'intéressé lui-même, que l'impatience de ses ambitions avait conduit à court-circuiter le processus habituel de l'adoubement par un grand parti. Étant nouveau venu dans le champ de la politique professionnelle, et n'ayant jamais subi le baptême du feu électoral, il n'avait pas encore accumulé le même capital politique spécifique que ses principaux concurrents. Il a donc fait ce que font parfois les nouveaux entrants dans une compétition sociale : il a tenté un coup de force pour accumuler d'un coup le capital distinctif nécessaire pour figurer dans la compétition avec quelque chance de succès. Mais ne voulant pas avoir à payer en temps et en énergie le droit d'entrée dans le jeu, il a pris le risque de s'inscrire dans la compétition en concurrent indépendant. Ce qui restreignait le choix de sa stratégie à celle du « ni droite, ni gauche », qui dans la France actuelle n'est quand même pas d'une sidérante nouveauté, il faut bien le reconnaître. Giscard déjà, dans les années 1970, reprenait à son compte ce vieux précepte centriste en disant que la France « demande à être gouvernée au centre ». Trente ans d'alternance « gauche-droite » ont fait le reste, c'est-à-dire épuisé la confiance des électeurs de gauche comme de droite. En tout cas, le choix du « ni droite-ni gauche » est presque toujours l'aveu d'une préférence pour la droite, mais dissimulé ou honteux.

Transformer la lutte politique en simple bataille d'idées et la bataille d'idées en simple querelle de mots, choisis pour leur halo sémantique de séduction ou de répulsion (et donc pour leur charge émotionnelle positive ou négative), c'est substituer à la vision crue et réaliste des rapports de classes une vision purement symbolique, très euphémisée, qui tend trop souvent à masquer les véritables enjeux et les contradictions objectives.

Dans des circonstances « normales », les compétiteurs suffisamment « gonflés », ou inconscients, pour tenter le coup de force de court-circuiter la filière de sélection partisane, se font rapidement balayer par les concurrents encartés plus aguerris, plus expérimentés, mieux connus et reconnus, à moins de bénéficier d'énormes appuis (celui de l'Armée par exemple, dans un coup d'État) ou bien d'être servis par des circonstances inattendues et imprévisibles qui bouleversent la donne et ruinent les plans des concurrents les plus dangereux (comme le pourrissement de la vie politique française par la guerre d'Algérie, qui a permis à De Gaulle d'imposer habilement son retour au pouvoir en 1958, encore qu'il ne fût pas vraiment un nouveau venu).

 

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Et un autre article écrit lui avant l'élection présidentielle qui en est d'autant plus intéressant.

 

Emmanuel Macron, un putsch du CAC 40

 

https://static.blog4ever.com/2012/01/636480/c_6657436.gifomment le candidat d’« En marche ! » a été entièrement fabriqué par des médias entre les mains du capital, et pourquoi il est encore temps de résister à ce coup de force.

C’était à la fin de l’été dernier, je venais de rendre le manuscrit du « Monde libre ». Mon regard errait devant les images de BFM TV, dans les vestiges d’une canicule parisienne achevée il y a peu. C’est alors que je compris brutalement que l’année 2017 serait terrible, et que la présidentielle à venir ne ressemblerait à rien de ce que ce pays avait connu jusqu’ici. La première chaîne d’informations en continu du pays, fleuron du groupe Altice-SFR détenu par Patrick Drahi, n’avait pas lésiné sur les moyens en ce 30 août 2016. Le tout pour couvrir un événement considérable, imaginez du peu : la démission du ministère de l’économie d’un jeune baron du hollandisme encore quasi inconnu du public deux ans auparavant. Un scoop d’importance planétaire, on voit ça, qui valait bien la mobilisation générale de toutes les équipes de la chaîne détenue par ce milliardaire français issu des télécoms. L’étrange spectacle qui s’étalait sur les écrans du pays ce jour-là, c’était un chérubin en costume-cravate s’échappant du ministère de Bercy en navette fluviale pour remettre sa démission à l’Elysée, poursuivi par les caméras de BFM TV, le tout dans le style flouté et distant caractéristique de la paparazzade, de l’image arrachée à l’intimité d’une personnalité livrée bien malgré elle à la convoitise des foules. Comme l’Hyppolite de Racine, le futur ex-ministre en question, qui n’était autre qu’Emmanuel Macron, semblait ainsi être saisi par surprise en train de « traîner tous les cœurs après lui » sur la Seine, dans une étrange séance de ski nautique géant national. Ce que le téléspectateur ignorait à ce stade, c’est que ce sont les cœurs des patrons du CAC 40 qui battaient la chamade pour lui depuis déjà un petit moment, et que tous avaient un plan pour la France : porter à la Présidence de la République le chérubin si compréhensif aux doléances du capital. A ce stade il n’était rien, mais ça n’était pas un problème. Ses Geppetto, les poches pleines de billets et les rédactions pleines de journalistes, étaient prêts à en faire tout.

La scène, totalement surréaliste, m’est toujours restée en mémoire. De même que la surexcitation des commentateurs en plateau, chargés de faire mousser le non-événement, et de faire passer la dérisoire péripétie pour un événement susceptible de casser l’histoire du monde en deux. Ce jour-là, oui, j’eus le pressentiment que nous nous apprêtions à vivre une opération de propagande d’une dimension et d’une nature tout à fait inhabituelles. Une blitzkrieg médiatique à côté de laquelle les éditoriaux érotiques du « Monde » en faveur d’Edouard Balladur en 1995, ou les tribunes culpabilisatrices de « l’Obs » ou de « Libération » pour faire gagner le « Oui » en 2005, ne furent que de dérisoires et fort rudimentaires précurseurs. L’équivalent d’une longue-vue d’amiral de l’armée des Indes par rapport à un satellite d’observation de l’actuelle US army, pour prendre une comparaison d’ordre militaire.

Il est certain en effet que la situation dans les médias s’est spectaculairement dégradée depuis ces années là, jusqu’à faire chuter la France au 45ème rang du classement 2016 de la liberté de la presse établi par « Reporters sans Frontières », quelque part entre le Botswana et la Roumanie. Le tout à cause, contentons-nous de citer l’organisme international sur ce point, « d’une poignée d’hommes d’affaires ayant des intérêts extérieurs au champ des médias qui ont fini par posséder la grande majorité des médias privés à vocation nationale. » Jamais une situation pareille de mainmise quasi totale sur la presse ne s’était vue en France depuis 1945. De sinistre mémoire, le quinquennat Hollande restera du reste comme celui de la victoire par KO du capital sur l’indépendance des rédactions. Le candidat PS s’était fait élire aussi sur la promesse de relever les seuils anti-concentration dans ce domaine. La loi naine dont son règne accouchera fin 2016, dite « Loi Bloche », s’empressera d’enterrer la chose au profit de la mise en place de dérisoires « chartes éthiques » censées garantir la liberté des journalistes. Autant fournir de simples casques de chantier pour protéger des salariés travaillant en zone irradiée. A rebours de ses engagements, François Hollande favorisera en 2015 le rachat de titres historiques comme « Libération » et « l’Express » par Patrick Drahi, géant des télécoms, connu pour ses emplettes par effets de levier hautement destructrices d’emplois, et son contorsionnisme invétéré en matière fiscale. C’est également sous ce quinquennat qu’aura lieu la prise de contrôle du groupe « Canal+ » par Vincent Bolloré avec les conséquences sinistres que l’on sait. Ou encore le rachat en 2015 du « Parisien » par Bernard Arnault, déjà propriétaire des « Echos » et premier annonceur publicitaire de la presse, bien connu également pour son progressisme social, sans parler de sa sympathie pour le populo. Mais aussi, après l’absorption en 2010 du quotidien « le Monde » par un trio d’investisseurs emmené par Xavier Niel, ogre concurrent des télécoms, l’avalement par ce même groupe de la quasi totalité de la presse social-démocrate mainstream, avec le rachat en 2014 de « L’Obs », là encore surveillé comme le lait sur le feu par le président de la République.

Ainsi ce dernier pensait-il encore, début 2016, en dépit de sa popularité exécrable, avoir mis autant d’atouts que possible de son côté pour la reconquête de son fauteuil présidentiel. Las, c’était sans compter sur Emmanuel Macron, le polichinelle que lui avaient mis dans le tiroir ses nouveaux amis du CAC 40. Avec son consentement, c’est là toute la perfection de la farce. Il y a quelque chose de biblique dans le châtiment d’un Président qui, après avoir renoncé à faire de la finance son ennemi, confia à celle-ci sa politique économique, et se vit poignardé dans le dos par elle, jusqu’à devoir désormais escorter  publiquement ses ambitions élyséennes. Plus précoce que sa dupe élyséenne, il y a des années que Macron plaçait ses pions auprès des géants des médias. Déjà lorsqu’il était banquier d’affaires chez Rothschild, le protégé d’Alain Minc avait conseillé le groupe Lagardère pour la vente de ses journaux à l’international. Excellentes aussi, les relations entretenues par Macron avec le sulfureux patron de Canal+, Vincent Bolloré, dont on connaît la passion pour les démocrates africains et l’indépendance des rédactions. L’ambitieux ne s’en était nullement caché auprès du journaliste Marc Endeweld, auteur de « L’Ambigu monsieur Macron » (Flammarion). Très étroites également, celles qu’il a avec le fils de ce dernier, Yannick Bolloré, PDG d’Havas, géant de la communication mondiale. Avec le groupe de Patrick Drahi, c’est aussi la love story à ciel ouvert, même si en période électorale les pudeurs de carmélite s’imposent. Ainsi le Directeur général de BFM TV est-il régulièrement obligé de se défendre de faire une « Télé Macron », sans convaincre grand monde, tant les affinités électives sont avérées entre le candidat à la présidence et l’entité Altice-SFR Presse. Lorsque Martin Bouygues et Patrick Drahi s’affronteront pour le rachat du groupe SFR, c’est Emmanuel Macron, devenu le successeur d’Arnaud Montebourg à Bercy, qui entérinera le deal en faveur du second, sans jamais tirer la sonnette d’alarme sur les destructions d’emplois, et autres problèmes multiples posés par ce rachat dans un domaine aussi stratégique que les télécoms. En retour, lorsque Macron décidera de se lancer dans la course à la présidentielle fin 2016, on ne tardera pas à voir rejoindre son équipe comme conseiller aux affaires économiques l’ancien banquier Bernard Mourad, hier encore directeur d’Altice Media Group, à savoir SFR Presse. C’est du reste « Challenges » qui sortira cette dernière information, le magazine aujourd’hui encore dirigé par Claude Perdriel, autre organe fervent de la macronôlatrie. Un agenouillement public à la fois si étouffant et si peu contestable que même ses rédacteurs, peu soupçonnables de déviances gauchistes, s’en plaindront sous la forme d’un communiqué de leur Société des Journalistes.

C’est toutefois avec Xavier Niel, à qui le même Perdriel revendit l’Obs en 2014, que les relations avec le candidat Macron sont devenues au fil du temps carrément torrides. Entre capitalistes qui s’assument, désirant pour la France un destin de « start up nation », peuplée de benêts rêvant de devenir milliardaires, c’est peu de dire que le courant passe. Alors même qu’un reportage diffusé au 20 heures de France 2 annonçait début 2016 que le patron de Free s’apprêtait à financer les ambitions de l’autre, Niel est devenu plus taiseux sur la question. Difficile en effet d’admettre publiquement pour l’homme fort du groupe « Le Monde » son degré de proximité avec le candidat d’En Marche!, alors même que beaucoup accusent déjà le quotidien du soir d’être devenu le bulletin paroissial du macronisme. Interrogé sur LCP le 16 mars dernier, à peine Niel consentira-t-il à admettre que deux candidats pourraient convenir à ses convictions libérales, à savoir Emmanuel Macron et François Fillon. Un second choix qui ne surprendra que ceux qui ignorent que le candidat LR est l’homme qui lui accorda en 2009 la quatrième licence de téléphonie mobile, dans des conditions toujours restées opaques.

 

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Le candidat des médias

https://static.blog4ever.com/2012/01/636480/l.gife succès d’un candidat inconnu du public il y a trois ans ne s’explique pas seulement par la décomposition du système politique français. Inventeur d’une nouvelle manière de promouvoir les vieilles idées sociales-libérales qui ont valu au président François Hollande des records d’impopularité, M. Emmanuel Macron a trouvé dans les médias un solide point d’appui. Son histoire ressemble à un rêve d’éditorialiste.
par Marie Bénilde

Deux semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, en avril, M. Emmanuel Macron, 39 ans, sort avec son épouse d’une librairie du boulevard Saint-Germain ouverte tard le soir. Ils croisent des étudiants occupés à coller des affiches du leader du mouvement En marche !. La conversation s’engage sur l’absence regrettée du candidat au quartier général des « marcheurs » parisiens, et glisse sur l’affiche officielle de la campagne. Mme Brigitte Macron ne l’aime pas. Elle ne ressemble pas à son jeune époux, estime-t-elle. M. Macron en explique la raison : il a été vieilli sur la photo pour mieux suggérer une posture présidentielle.

Comme ce cliché, la candidature de M. Macron n’a-t-elle pas elle-même été façonnée par des mains expertes ? Au-delà de l’ambition, du talent, de la trajectoire de ce pur produit de l’élitisme à la française (1), les fées penchées sur le berceau du prodige n’en révèlent-elles pas davantage sur l’homme que ce qu’il dit lui-même — en particulier celles qui agitent leurs baguettes dans le monde des médias et de la communication ? M. Macron plaît à la presse et à ses dirigeants. Et pour cause : son discours libéral, europhile, atlantiste et moderniste évoque une synthèse des éditoriaux du Monde, de Libération, de L’Obs et de L’Express qu’un acteur de théâtre expérimental aurait entrepris de hurler sur scène…

C’est par l’entremise d’Henry Hermand, l’argentier des think tanks La République des idées et Terra Nova, actionnaire de référence de l’hebdomadaire Le 1 d’Éric Fottorino, que le jeune énarque a rencontré Jacques Attali. « Emmanuel Macron ? C’est moi qui l’ai repéré. C’est même moi qui l’ai inventé (2) », affirme l’ancien conseiller de François Mitterrand et président du conseil de surveillance du site d’information Slate, qui l’a nommé en 2007 rapporteur adjoint de sa « commission pour la libération de la croissance ». Là, il siège au milieu de dix-sept patrons et anciens patrons, et remplit son carnet d’adresses. M. Pascal Houzelot, fondateur de la chaîne Pink TV, puis acquéreur de la chaîne Numéro 23 et membre du conseil de surveillance du Monde, l’invite à dîner. En 2010, ce personnage influent du Tout-Paris des médias et de la culture introduit le jeune gérant de chez Rothschild auprès des trois personnalités qui viennent de racheter le groupe Le Monde : le banquier d’affaires Matthieu Pigasse, le fondateur de Free Xavier Niel et l’ancien patron d’Yves Saint Laurent Pierre Bergé.

Les affaires du vénérable quotidien ne lui sont pas tout à fait inconnues. Quelques mois auparavant, M. Macron avait conseillé à titre gracieux la Société des rédacteurs du Monde (SRM), en quête d’investisseurs. Alors qu’ils s’apprêtaient à conclure avec le trio, les responsables de la SRM s’aperçoivent que leur ange gardien bénévole soutient en sous-main une proposition concurrente manigancée par M. Alain Minc, ancienne éminence du quotidien vespéral dont la SRM s’était débarrassée à grand-peine deux ans plus tôt. Le 3 septembre 2010, une scène burlesque se déroule avenue George-V, à Paris : Adrien de Tricornot, vice-président de la SRM, aperçoit par hasard M. Macron qui sort des bureaux de M. Minc avant de s’éclipser précipitamment. Tricornot se lance à sa poursuite dans l’immeuble. « Quand j’arrive sur le palier du dernier étage, raconte-t-il, Macron regarde ses pieds, son portable à l’oreille, et fait comme s’il ne me voyait pas. Et j’entends : “Oui, allô, c’est Emmanuel...” (...) Je me rapproche à quelques centimètres de lui, mais toujours rien… Il continue à “parler” au téléphone. Je lui tends la main et lui dis : “Bonjour Emmanuel. Tu ne nous dis plus bonjour ? Mes collègues t’attendent en bas.” J’ai senti à ce moment l’angoisse en lui. Il avait du mal à respirer. Son cœur battait à deux cents à l’heure (3).  »

Nommé secrétaire général adjoint à l’Élysée en mai 2012, l’inspecteur des finances devient la courroie de transmission entre les grandes entreprises et le pouvoir. « Emmanuel Macron est notre relais, notre porte d’entrée auprès du président », déclare M. Stéphane Richard, président-directeur général d’Orange (4). Sa nomination à Bercy en tant que ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, en août 2014, lui vaut une réputation de chantre de la « destruction créatrice » des emplois au profit de la transformation numérique du monde du travail. « Ce serait une grossière erreur de protéger les entreprises et les jobs existants », estime-t-il en décembre 2014, alors que les chauffeurs de taxi manifestent contre Uber. Le ministre séduit ainsi des capitalistes de la nouvelle économie, tel M. Marc Simoncini, le fondateur de Meetic, qui parle de sa rencontre avec lui comme d’une « histoire d’amour le lendemain d’un coup de foudre ». M. Niel, qui lui a fait visiter son École 42 (une école d’informatique), résume le sentiment partagé par de nombreux patrons : « Dans les bons milieux parisiens, il est adoré (…). J’aime bien Emmanuel pour son côté volontariste et libéral » (Society, mai 2016).

En janvier 2017, le coactionnaire du Monde Pierre Bergé annonçait sur Twitter son « soutien sans la moindre restriction à Emmanuel Macron ». Ces sympathies, et le trouble qu’elles suscitent chez les lecteurs, ont incité le quotidien à s’interroger le 10 mars 2017 : « Le Monde roule-t-il pour Macron ? » Non, bien sûr, répondait le médiateur, qui précisait tout de même que les chroniqueurs, eux, étaient « libres de donner leur point de vue ». Et ils ne s’en sont pas privés. Arnaud Leparmentier s’enthousiasme pour cet héritier du blairisme qui propose « la recette raisonnable cuisinée par l’économiste de centre gauche Jean Pisani-Ferry pour redresser l’État social français ». Son collègue Vincent Giret exprime sur les ondes de Radio France son admiration pour « une vision, une explication souvent brillante de la mondialisation » et pour la « cohérence » d’un projet « à la fois libéral et social ».

En couverture de Challenges, en janvier 2017, le jeune ambitieux se détachait avantageusement de ses concurrents sous le titre : « Gauches : le boulevard fait à Macron ». Le soutien inconditionnel de l’hebdomadaire, notamment par les plumes de Maurice Szafran et de Bruno-Roger Petit, a exaspéré même les salariés. Le 16 mars, un communiqué de la société des journalistes appelait à plus de retenue vis-à-vis de l’homme qui, le 13 avril, en pleine campagne électorale, était l’invité vedette du second « sommet des start-up » organisé par le magazine. Le propriétaire du titre, M. Claude Perdriel, voit dans M. Macron un nouveau Pierre Mendès-France.

Les rapports du candidat d’En marche ! avec un autre magnat des télécommunications et des médias, M. Patrick Drahi (SFR, BFM TV, RMC, Libération, L’Express), interrogent. En 2014, lorsqu’il était ministre de l’économie, M. Arnaud Montebourg avait déclenché une enquête fiscale sur cet industriel qui avait domicilié sa résidence en Suisse et ses participations personnelles dans un paradis fiscal (Guernesey). À son arrivée à Bercy, M. Macron s’est montré plus conciliant. M. Drahi a ainsi pu racheter SFR à Vivendi sans avoir à rapatrier ses avoirs en France, comme l’avait exigé M. Montebourg. Et si, l’année suivante, le ministre n’a pas favorisé l’offre de reprise de Bouygues Telecom par SFR pour 10 milliards d’euros, c’est qu’il savait le dossier explosif : la société dirigée par M. Martin Bouygues, actionnaire de TF1, avait pour conseil la banque Rothschild. M. Didier Casas, directeur général adjoint de Bouygues Telecom, a d’ailleurs rejoint en janvier 2017 l’équipe de campagne du candidat Macron.

 

 

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08/08/2017
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