Kempf: l’accident nucléaire annoncé
La France présente une particularité qui devrait susciter une recherche scientifique approfondie de la part des spécialistes de l’anatomopathologie.
Par Hervé Kempf Le Monde 15.06.2013
Ne rien entendre, ne rien voir , ne rien dire, le plus sur moyen de participer à la banalisation du mal et à l’accident!
Dans cette curieuse contrée, les responsables politiques ont développé, depuis une quarantaine d’années, une pathologie réellement intrigante. Dès qu’ils entendent le mot « nucléaire », leur appareil auditif se transforme. Couvrant les informations entendues, une petite musique envahit leur cerveau, modulant une rengaine : « sécurité, indépendance, bas coût« . Un sentiment de béatitude les envahit alors, et ils pensent à autre chose.
Avec Fukushima, en mars 2011, les cliniciens ont espéré une rémission. Mais, depuis, la population observée a rechuté.
Une série de déclarations impressionnantes pourrait-elle contribuer à la guérison ? On ne le sait. Mais cela inquiète fort, en revanche, ceux qui y ont prêté attention. En mars, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a publié une étude plaçant le coût d’un accident nucléaire entre 120 et 450 milliards d’euros (un scénario catastrophique conduit même à 5 800 milliards).
Puis le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, a répété qu’un accident en France était possible. Il en a ainsi parlé le 16 mai devant le Comité de pilotage du débat sur la transition énergétique, le 30 mai devant les députés, et le 12 juin, dans Le Soir, où il a déclaré : « S’il y a un accident en France ou dans un autre pays, plusieurs autres pays seront concernés, voire impactés. L’hypothèse n’est pas irréaliste. »
Bien que M. Chevet ne soit pas très précis sur les éléments qui le conduisent à cet alarmisme, l’ASN a publié le 16 mai un avis soulignant « le risque qu’un défaut grave affecte plusieurs réacteurs », ce qui pourrait conduire à « suspendre sans délai le fonctionnement de ces réacteurs ». Le risque, a dit M. Chevet, est « plausible ». Les motifs pourraient en être, semble-t-il, des problèmes de corrosion et de joints.
D’autres aspects expliquent l’inquiétude des responsables de la sûreté. D’une part, la situation économique d’EDF est de plus en plus mauvaise, comme l’a rappelé le rapport de la Commission de régulation de l’énergie le 5 juin.
Cela pourrait conduire l’entreprise à comprimer les dépenses de sûreté, augmentant le risque d’accident.
D’autre part, les compétences humaines, qui sont essentielles, sont en train de se perdre, du fait du départ à la retraite d’un grand nombre de travailleurs du nucléaire. Or, ce que l’on appelle « le facteur humain » est un élément crucial de la sécurité nucléaire. Enfin, le vieillissement du parc accroît logiquement les risques.
Entendre ce que répètent les responsables, pourtant pondérés, de la sûreté nucléaire, aurait des conséquences désagréables : augmenter le prix de l’électricité et se préparer à ne pas allonger la durée de fonctionnement des réacteurs.
Mais rester sourd risque de conduire à une situation non plus désagréable, mais insupportable : un accident nucléaire en France.