Jean Ziegler: L'Empire de la Honte
Jean Zigler, rapporteur auprès de l'ONU ( 60.000 fonctionnaires ) pour les questions de ressources alimentaires vient de publier aux Editions Fayard un livre traduit en 14 langues, intitiulé :
l'Empire de la Honte. Editions Fayard
Dans la vidéo de 11 mégas que vous pourrez voir ci-après, et qui correspond à sa récente interview TV5 il présente son ouvrage. Il explique qu'au moment de la Révolution Française l'idée d'apporter de quoi manger à leur faim à tous les hommes de la Terre relevait encore d'une utopie, d'un rêve, mais qu'aujourd'hui cela serait une chose techniquement possible. Mais c'est impossible à cause de la captation des richesse par un petit nombre, qu'il appelle les Seigneurs de la Guerre Economique. Ceux-ci instituent unOrdre Feodal et leur bras armée n'est autre que la puissance militaire américaine, qui opère désormais en se passant de l'aval de l'ONU, sans aucun contrôle. Les Etats-Unis pratiquent désormais la torture et l'assassinat comme "une chose nécessaire" et se sont retirés de la Convention de genêve. L'auteur signale que la nomination de Wolfowitz à la direction de la Banque Mondiale est une catastrophe de plus car désormais celmle-ci, au lieu de tenter de tendre vers la justice va se mettre au service des plus puissants.
Ziegler rappelle que Bush a signé un décret autorisant des commandos américains armés à opérer hors des USA en éliminant physiquement non pas des couplables, mais de simples suspects. Il parle d'une Barbarie Nouvelle et d'une "Organisation de la Faim" au service d'une Nouvel Ordre Mondial, meurtrier et absurde. Ziegler parle de la nécessité d'une insurrection morale.
Le ton de l'homme est impressionnant. L'interview dans la chaîne de télévision TV5 se situe à une heure de grande audience.
Ecoutez ce que dit cet homme, lisez son livre diffusez son message. Il en va de votre avenir d'être humain :
Cliquez le lien pour télécharger la vidée
La vidéo n'est pas d'excellente qualité, le son par contre est excellent
http://www.jp-petit.com/VIDEOS/L_Empire_de_la_Honte_Jean_Zigler.wmv
L'Interview complète :
Jean Ziegler : "Nous allons vers une reféodalisation du monde"
Dans son nouvel essai, L'Empire de la honte (Fayard), qui paraît le 10 mars, le sociologue et intellectuel subversif genevois - aujourd'hui rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation de la commission de l'ONU pour les droits de l'homme - part à l'attaque des "sociétés transcontinentales privées". Accusées d'entretenir la famine, de détruire la nature et de subvertir la démocratie, elles étendent leur emprise sur le monde et veulent réduire à néant les conquêtes des Lumières. Pour leur résister, il faut retrouver l'esprit de la Révolution française et relever la tête, comme le fait déjà au Brésil le président Lula da Silva.
Votre livre s'intitule L'Empire de la honte. Quel est cet empire ? Pourquoi "de la honte"? Quelle est cette honte?
Jean Ziegler : Dans les favelas du nord du Brésil, il arrive aux mères, le soir, de mettre de l'eau dans la marmite et d'y déposer des pierres. A leurs enfants qui pleurent de faim elles expliquent que "bientôt le repas sera prêt…", tout en espérant qu'entre-temps les enfants s'endormiront.
Mesure-t-on la honte éprouvée par une mère devant ses enfants martyrisés par la faim et qu'elle est incapable de nourrir?
Or l'ordre meurtrier du monde - qui tue de faim et d'épidémie 100 000 personnes par jour - ne provoque pas seulement la honte chez ses victimes, mais aussi chez nous, Occidentaux, Blancs, dominateurs, qui sommes complices de cette hécatombe, conscients, informés et, pourtant, silencieux, lâches et paralysés.
L'empire de la honte? Ce pourrait être cette emprise généralisée du sentiment de honte provoqué par l'inhumanité de l'ordre du monde. En fait, il désigne l'empire des entreprises transcontinentales privées, dirigées par les cosmocrates. Les 500 plus puissantes d'entre elles ont contrôlé l'an passé 52 % du produit mondial brut, c'est-à-dire de toutes les richesses produites sur la planète.
Dans votre livre, vous parlez d'une "violence structurelle". Qu'entendez-vous par là?
Jean Ziegler : Dans l'empire de la honte, gouverné par la rareté organisée, la guerre n'est plus épisodique, elle est permanente. Elle ne constitue plus une crise, une pathologie, mais la normalité. Elle n'équivaut plus à l'éclipse de la raison - comme le disait Horkheimer -, elle est raison d'être même de l'empire. Les seigneurs de la guerre économique ont mis la planète en coupe réglée. Ils attaquent le pouvoir normatif des Etats, contestent la souveraineté populaire, subvertissent la démocratie, ravagent la nature, détruisent les hommes et leurs libertés. La libéralisation de l'économie, la "main invisible" du marché sont leur cosmogonie ; la maximalisation du profit, leur pratique. J'appelle violence structurelle cette pratique et cette cosmogonie.
Parlez également d'une "agonie du droit". Que veut dire cette formule?
Jean Ziegler : Désormais, la guerre préventive sans fin, l'agressivité permanente des seigneurs, l'arbitraire, la violence structurelle règnent sans entraves. La plupart des barrières du droit international s'effondrent. L'ONU elle-même est exsangue. Les cosmocrates sont au-dessus de toute loi. Mon livre fait le récit de l'effondrement du droit international, citant de nombreux exemples tirés directement de mon expérience de rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation.
Vous qualifiez la famine d'"arme de destruction massive". Quelles solutions préconisez-vous?
Jean Ziegler : Avec la dette, la faim est l'arme de destruction massive qui sert aux cosmocrates à broyer - et à exploiter - les peuples, notamment dans l'hémisphère Sud. Un ensemble complexe de mesures, immédiatement réalisable et que je décris dans le livre, pourrait rapidement mettre un terme à la faim. Il est impossible de les résumer en une phrase. Une chose est certaine : l'agriculture mondiale, dans l'état actuel de sa productivité, pourrait nourrir le double de l'humanité d'aujourd'hui. Il n'existe donc aucune fatalité: la faim est faite de main d'homme.
Certains pays sont écrasés, dites-vous, par une "dette odieuse". Qu'entendez-vous par "dette odieuse" et quelles solutions préconisez-vous?
Jean Ziegler : Le Rwanda est une petite république paysanne de 26 000 km2, située sur la crête de l'Afrique centrale séparant les eaux du Nil et du Congo, et cultivant le thé et le café. D'avril à juin 1994, un génocide effroyable, organisé par le gouvernement hutu allié à la France de François Mitterrand, a provoqué la mort de plus de 800 000 hommes, femmes et enfants tutsis. Les machettes ayant servi au génocide ont été importées de Chine et d'Egypte, et financées, pour l'essentiel, par le Crédit Lyonnais. Aujourd'hui, les survivants, des paysans pauvres comme Job, doivent rembourser aux banques et aux gouvernements créanciers jusqu'aux crédits qui ont servi à l'achat des machettes des génocidaires. Voilà un exemple de dette odieuse. La solution passe par l'annulation immédiate et sans contrepartie ou, pour commencer, par un audit de celle-ci, comme le préconise l'Internationale socialiste ou comme l'a fait au Brésil le président Lula, pour ensuite la renégocier poste par poste. Dans chaque poste, il y a en effet des éléments délictueux – corruption, surfacturation, etc. - qui doivent être réduits. Des sociétés internationales d'audit, comme PriceWaterhouseCooper ou Ernst & Young, peuvent tout à fait s'en charger, comme elles se chargent, chaque année, de vérifier les comptes des multinationales.
Vous citez à plusieurs reprises le président Lula da Silva comme modèle. Qu'est-ce qui vous inspire cette considération dans son action?
Jean Ziegler : J'éprouve à la fois de l'admiration et de l'inquiétude en considérant les objectifs politiques et l'action du président Lula : de l'admiration parce qu'il est le premier président du Brésil à accepter de reconnaître que son pays compte 44 millions de citoyens gravement et en permanence sous-alimentés et à vouloir mettre un terme à cette situation inhumaine ; de l'inquiétude, aussi, parce qu'avec une dette extérieure de son pays de 235 milliards de dollars Lula n'a pas les moyens d'en finir avec cette situation.
Dans votre livre vous parlez également d'une "reféodalisation du monde". Qu'entendez-vous par là?
Jean Ziegler : Le 4 août 1789, les députés de l'Assemblée nationale française ont aboli le régime féodal. Leur action a eu un retentissement universel. Or, aujourd'hui, nous assistons à un formidable retour en arrière. Le 11 septembre 2001 n'a pas seulement fourni à George W. Bush l'occasion d'étendre l'emprise des Etats-Unis sur le monde, l'événement a aussi justifié la mise en coupe réglée des peuples de l'hémisphère Sud par les grandes sociétés transcontinentales privées.
Dans votre livre, vous faites très souvent référence à la Révolution française et à certains de ses protagonistes (Danton, Babeuf, Marat…) : en quoi estimez-vous qu'elle a encore quelque chose à apporter, deux siècles après et dans un monde bien différent?
Jean Ziegler : Lisez les textes! Le Manifeste des Enragés de Jacques Roux fixe l'horizon de tout combat pour la justice sociale planétaire. Les valeurs fondatrices de la république, mieux, de la civilisation tout court, datent de l'époque des Lumières. Or l'empire de la honte détruit jusqu'à l'espérance de la concrétisation de ces valeurs.
Dans votre livre, vous reprochez à la guerre globale contre le terrorisme de détourner des ressources nécessaires à d'autres combats plus importants, comme celui contre la faim. Pensez-vous que le terrorisme soit une fausse menace, cultivée par quelques Etats ? Si oui, qu'est-ce qui vous le fait penser ? Pensez-vous que cette menace n'est pas réelle ou qu'elle mérite un traitement différent?
Jean Ziegler : Le terrorisme d'Etat des Bush, Sharon, Poutine… est aussi détestable que le terrorisme groupusculaire du Djihad islamique ou d'autres fous sanguinaires de ce type. Ce sont les deux faces d'une même barbarie. Elles sont bien réelles l'une et l'autre, puisque Bush tue et que Ben Laden tue. Le problème est l'éradication du terrorisme : il ne peut se faire que par un bouleversement total de l'empire de la honte. La justice sociale planétaire seule pourra couper les djihadistes de leurs racines et priver les laquais des cosmocrates des prétextes de leurs ripostes.
En 2002, vous avez été nommé rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation. Quelle réflexion avez-vous tiré de cette mission?
Jean Ziegler : Mon mandat est passionnant : dans une totale indépendance - responsable devant l'Assemblée générale de l'ONU et la commission des droits de l'homme -, je dois rendre justiciable, par le droit statutaire ou conventionnel, un nouveau droit de l'homme : le droit à l'alimentation. C'est un travail de Sisyphe ! Il progresse millimètre par millimètre. Le lieu essentiel de ce combat, c'est la conscience collective. Longtemps, la destruction des êtres humains par la faim a été tolérée dans une sorte de normalité glacée. Aujourd'hui, elle est considérée comme intolérable. L'opinion fait pression sur les gouvernements et les organisations interétatiques (OMC, FMI, Banque mondiale, etc.) afin que des mesures élémentaires soient prises pour abattre l'ennemi : réforme agraire dans le tiers-monde, prix convenables payés pour les produits agricoles du Sud, rationalisation de l'aide humanitaires en cas de brusques catastrophes, fermeture de la Bourse des matières premières agricoles de Chicago, qui spécule à la hausse sur les principaux aliments, lutte contre la privatisation de l'eau potable, etc.
Dans votre livre, vous apparaissez comme un défenseur de la cause "altermondialiste", voire comme un porte-parole de ce mouvement. Comment se fait-il que vous interveniez si rarement dans les manifestations "alter" et que l'on ne vous considère généralement pas comme un intellectuel "alter"?
Jean Ziegler : Comment donc ? J'ai parlé devant 20 000 personnes au "Gigantino" de Porto Alegre en janvier 2003. Je me sens comme un intellectuel organique de la nouvelle société civile planétaire, de ses multiples fronts de résistance, de cette formidable fraternité de la nuit. Mais je reste fidèle aux principes de l'analyse révolutionnaire de classe, à Jacques roux, Babeuf, Marat et Saint-Just.
Vous semblez attribuer tous les malheurs du monde aux multinationales et à une poignée d'Etats (Etats-Unis, Russie, Israël…) : n'est-ce pas un peu réducteur?
Jean Ziegler : L'ordre du monde actuel n'est pas seulement meurtrier, il est également absurde. Il tue, détruit, massacre, mais il le fait sans autre nécessité que la recherche du profit maximal pour quelques cosmocrates mus par une obsession du pouvoir, une avidité illimitée.
Bush, Sharon, Poutine ? Des laquais, des auxiliaires. J'ajoute un post-scriptum sur Israël : Sharon n'est pas Israël. Il est sa perversion. Michael Warshavski, Lea Tselem, les "Rabbins pour les droits de l'homme" et maintes autres organisations de résistance incarnent le véritable Israël, l'avenir d'Israël. Ils méritent notre totale solidarité.
Pensez-vous que la morale a sa place dans les relations internationales, qui sont plutôt dictées par les intérêts économiques et géopolitiques?
Jean Ziegler : Il n'y a pas le choix. Ou bien vous optez pour le développement et l'organisation normative ou bien vous choisissez la main invisible du marché, la violence du plus fort et l'arbitraire. Pouvoir féodal et justice sociale sont radicalement antinomiques.
"En avant vers nos racines", exige le marxiste allemand Ernst Bloch. Si nous ne restaurons pas de toute urgence les valeurs des Lumières, la République, le droit international, la civilisation telle que nous l'avons bâtie depuis deux cent cinquante ans en Europe vont être recouverts, engloutis par la jungle.
Depuis le départ des talibans, le Moyen-Orient et le monde arabo-musulman semblent parcourus par une vague de démocratisation plus ou moins spontanée (élections en Afghanistan, en Irak, en Palestine, ouverture de la présidentielle à d'autres candidats en Egypte…). Comment jugez-vous cela et pensez-vous que la démocratie puisse s'exporter dans ces pays ? Ou croyez-vous qu'ils sont condamnés à avoir des régimes despotiques?
Jean Ziegler : Il ne s'agit pas "d'exporter la démocratie". Le désir d'autonomie, de démocratie, de souveraineté populaire est consubstantiel à l'être humain, quelle que soit la région du monde où il est né. Mon ami le grand sociologue syrien Bassam Tibi veut une existence en démocratie et y a droit. Or, depuis trente ans, il vit en Allemagne, en exil de la dictature effroyable qui sévit dans son pays. Elias Sambar, écrivain palestinien, un autre de mes amis, a droit à une Palestine libre et démocratique, non pas à une Palestine occupée, ni à une vie sous la férule d'islamistes obscurantistes. Tibi, Sambar et moi voulons la même chose et y avons droit : la démocratie. Le problème: la guerre froide, l'instrumentalisation des régimes en place par les grandes puissances, enfin la lâcheté des démocrates occidentaux, leur manque de solidarité active et réelle font que les tyrans du Moyen-Orient, d'Arabie Saoudite, d'Egypte, de Syrie, du Golfe, d'Iran ont pu durer jusqu'à aujourd'hui.
Gian Paolo Accardo
Source : la libre Belgique :
Ce livre est marqué par votre expérience aux Nations unies...
Totalement. J'ai un poste d'observation comme jamais auparavant. Et je suis très préoccupé. L'Organisation des Nations unies a soixante ans cette année et elle est menacée mortellement. Par sa bureaucratie, d'une part, avec ses 62000 fonctionnaires. Par son inefficacité dans certaines crises majeures, ensuite: Srebrenica, le génocide du Rwanda, tout cela est impardonnable. Sa charte contient les éléments essentiels de la civilisation: la sécurité collective, la justice sociale planétaire et les droits de l'homme. Or, ces trois piliers sont attaqués par l'unilatéralisme de l'actuel régime américain, qui nie la sécurité collective en Irak, envoie Wolfowitz à la Banque mondiale et dénonce la Convention sur la torture que les Américains avaient pourtant signée. Depuis la première législature de Bush, une cellule a été installée au sous-sol de la Maison-Blanche pour surveiller tous les cadres supérieurs des Nations unies. Tous ceux qui ont un intérêt contraire aux intérêts immédiats des Etats-Unis sont combattus. A ce rythme, les Nations unies risquent de disparaître...
Le secrétaire général Kofi Annan vient de présenter une réforme de l'Onu. Pensez-vous que cela soit une façon de la sauver?
Ses propositions sont courageuses. Kofi Annan est quelqu'un de très, très bien. On l'attaque sur tous les fronts par le biais de campagnes diffamatoires, on tente de la détruire psychologiquement, mais il veut aller au bout de son mandat et mener à bien les Objectifs du millénaire pour le développement. Cela va à l'encontre des intérêts impériaux américains et du capital privé. Lorsque l'on propose de réduire par deux la pauvreté extrême - deux milliards de personnes vivent avec moins d'un dollar par jour -, cela implique des réformes agraires, le contrôle des profits des multinationales, la diminution des prix pharmaceutiques, la souveraineté alimentaire...
Votre livre est un plaidoyer pour l'annulation de la dette.
Oui, tout est là. C'est le garrot qui crée la faim et empêche le développement. Prenons l'exemple du Brésil. Il y a 180 millions d'habitants dont 53 millions sont gravement et en permanence sous-alimentés. Ce sont des chiffres officiels. Le président Lula, élu avec 61 pc des voix en octobre 2002, a une légitimité démocratique incroyable mais il ne peut rien faire. Il a un mis en place un programme nommé «Faim zéro» qui demande un financement. Or, il ne dispose pas du premier sou en raison d'une dette de 235 milliards de dollars. S'il ne parvient pas à trouver une solution, il est foutu. Mais pour cela, il doit négocier avec le FMI. S'il prenait cette décision de façon unilatérale, le premier bateau brésilien à accoster à l'étranger serait immédiatement saisi.
Cela dit, l'annulation pure et simple de la dette n'est pas la seule solution. Il y a des régimes corrompus. La société civile - l'ONG «Jubilee 2000» en l'occurrence - a proposé un mécanisme qui convertirait la dette des 49 pays les moins avancés en monnaie locale afin de contribuer au développement, sous la surveillance du FMI. C'est une voie. Mais il y a une vraie hypocrisie consistant à dire que si les pays du Tiers-Monde ne payaient pas leur dette, le système bancaire mondial s'effondrerait. Or, les chiffres démontrent que c'est absolument faux. Lors de la dernière crise boursière, des capitaux qui étaient 14 fois supérieurs à l'ensemble de la dette des 122 pays du Tiers-Monde ont été détruits. L'économie a parfaitement digéré cela.
A qui profite cette hypocrisie?
Aux cosmocrates. Les 500 plus grandes sociétés transcontinentales du monde ont contrôlé l'année dernière plus de 54 pc du Produit mondial brut. Nous vivons la reféodalisation du monde! Les nouveaux seigneurs féodaux ont un pouvoir infiniment plus puissant que n'importe quel pape ou empereur dans l'histoire. Une grande inquiétude s'exprime partout au sujet de cette orientation du monde. Et l'Europe reste à mes yeux trop silencieuse alors qu'elle a les moyens de proposer un autre modèle.
(1) Ed. Fayard, 323 pp, 20€
« La destruction de millions d’Africains par la faim s’effectue dans une sorte de normalité glacée, tous les jours, et sur une planète débordant de richesses. En Afrique subsaharienne, entre 1998 et 2005, le nombre de personnes gravement et en permanence sous-alimentées a augmenté de 5,6 millions. » Jean Ziegler rappelle que le droit à l’alimentation est le premier des droits de l’homme et exhorte à réaliser une « distribution plus équitable des biens, qui satisferait aux besoins vitaux des gens et les protégerait contre la faim. »
par Jean Ziegler, Mondialisation.ca, 18 mars 2008
Texte de Jean Ziegler à l’occasion du Forum Quelle agriculture pour quelle alimentation ?
I. Toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim ou de ses suites immédiates. Plus de 6 millions en 2007. Toutes les quatre minutes, quelqu’un perd la vue à cause du manque de vitamines A. Ce sont 854 millions d’êtres qui sont gravement sous-alimentés, mutilés par la faim en permanence. [
Cela se passe sur une planète qui regorge de richesses. La FAO est dirigée par un homme de courage et de grande compétence, Jacques Diouf. Il constate qu’au stade du développement actuel de ses forces de production agricoles, la planète pourrait nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains, soit le double de l’actuelle population mondiale
Conclusion : ce massacre quotidien par la faim n’obéit à aucune fatalité. Derrière chaque victime, il y a un assassin. L’actuel ordre du monde n’est pas seulement meurtrier. Il est aussi absurde. Le massacre a bien lieu dans une normalité glacée.
L’équation est simple : quiconque a de l’argent mange et vit. Qui n’en a pas souffre, devient invalide ou meurt. Il n’a pas de fatalité. Quiconque meurt de faim est assassiné.
II. Le plus grand nombre des personnes sous-alimentées, 515 millions, vivent en Asie où elles représentent 24 % de la population totale. Mais si l’on considère la proportion des victimes, c’est l’Afrique subsaharienne qui paie le plus lourd tribut : 186 millions d’êtres humains y sont en permanence gravement sous-alimentés, soit 34 % de la population totale de la région. La plupart d’entre eux souffrent de ce que la FAO appelle « la faim extrême », leur ration journalière se situant en moyenne à 300 calories au-dessous du régime de la survie dans des conditions supportables.
Un enfant manquant d’aliments adéquats en quantité suffisante, de sa naissance à l’âge de 5 ans, en supportera les séquelles à vie. Au moyen de thérapies délicates pratiquées sous surveillance médicale, on peut faire revenir à une existence normale un adulte qui a été temporairement sous-alimenté. Mais un enfant de moins de 5 ans, c’est impossible. Privées de nourriture, ses cellules cérébrales auront subi des dommages irréparables. Régis Debray nomme ces petits des « crucifiés de naissance "
La faim et la malnutrition chronique constituent une malédiction héréditaire : chaque année, des centaines de milliers de femmes africaines gravement sous-alimentées mettent au monde des centaines de milliers d’enfants irrémédiablement atteints. Toutes ces mères sous-alimentées et qui, pourtant, donnent la vie rappellent ces femmes damnées de Samuel Beckett, qui « accouchent à cheval sur une tombe ... Le jour brille un instant, puis c’est la nuit à nouveau »
Une dimension de la souffrance humaine est absente de cette description : celle de l’angoisse lancinante et intolérable qui torture tout être affamé dès son réveil. Comment, au cours de la journée qui commence, va-t-il pouvoir assurer la subsistance des siens, s’alimenter lui-même ? Vivre dans cette angoisse est peut-être plus terrible encore qu’endurer les multiples maladies et douleurs physiques affectant ce corps sous-alimenté.
La destruction de millions d’Africains par la faim s’effectue dans une sorte de normalité glacée, tous les jours, et sur une planète débordant de richesses. En Afrique subsaharienne, entre 1998 et 2005, le nombre de personnes gravement et en permanence sous-alimentées a augmenté de 5,6 millions.
III. Jean-Jacques Rousseau écrit : « Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ». Afin de réduire les conséquences désastreuses des politiques de libéralisation et de la privatisation à l’extrême pratiquée par les maîtres du monde et par leurs mercenaires (FMI, OMC), l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de créer et de rendre justiciable un nouveau droit de l’homme : le droit à l’alimentation.
Le droit à l’alimentation est le droit d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie physique et psychique, individuelle et collective, libre d’angoisse, satisfaisante et digne.
Les droits de l’homme - hélas ! - ne relèvent pas du droit positif. Ce qui signifie qu’il n’existe encore aucun tribunal international qui rendrait justice à l’affamé, défendrait son droit à l’alimentation, sanctionnerait son droit de produire lui-même ses aliments ou de se les procurer au moyen d’achats monétaires, et protégerait son droit à la vie.
IV. Tout va bien aussi longtemps que des gouvernements comme celui du président Luis Inacio Lula da Silva à Brasilia ou du président Evo Morales à La Paz mobilisent par leur propre volonté les ressources de l’État, afin d’assurer à chaque citoyen son droit à l’alimentation. L’Afrique du Sud est un autre exemple. Le droit à l’alimentation est inscrit dans sa Constitution. Celle-ci crée une Commission nationale des droits de l’homme, composée en parité par des membres nommés ar les organisations de la société civile (Églises, syndicats et mouvements sociaux divers) et de membres désignés par le Parlement. Les compétences de la Commission sont étendues. Depuis son entrée en fonction, il y a cinq ans la Commission a déjà arraché des victoires importantes. Elle peut intervenir dans tous les domaines relevant du déni du droit à l’alimentation : éviction de paysans de leur terre ; autorisation donnée par une municipalité à une société privée pour la gestion de l’approvisionnement de l’eau potable, entraînant des taxes prohibitives pour les habitants les plus pauvres ; détournement par une société privée de l’eau d’irrigation au détriment des cultivateurs ; manquement au contrôle de la qualité de l’alimentation vendue dans les bidonvilles ; etc.
Mais combien existe-t-il de gouvernements, notamment dans le tiers-monde, dont la préoccupation quotidienne prioritaire est le respect du droit à l’alimentation de leurs citoyens ? Or, dans les 122 pays dits du tiers-monde vivent aujourd’hui 4,8 milliards des 6,2 milliards d’homme que nous sommes sur terre.
V. Les nouveaux maîtres du monde ont horreur des droits de l’homme. Ils les craignent comme le diable l’eau bénite. Car il est évident qu’une politique économique, sociale, financière réalisant à la lettre tous les droits de l’homme briserait net l’ordre absurde et meurtrier du monde actuel et produirait nécessairement une distribution plus équitable des biens, satisferait aux besoins vitaux des gens et les protégerait contre la faim et une bonne part de leurs angoisses.
Dans leur achèvement, les droits de l’homme incarnent donc un monde totalement autre, solidaire, libéré du mépris, plus favorable au bonheur.
Les droits de l’homme - politiques et civils, économiques, sociaux et culturels, individuels et collectifs - sont universels, interdépendants et indivisibles. Ils sont aujourd’hui l’horizon de notre combat.