Dephine Batho : «L’écologie est un levier pour sortir de la crise»
INTERVIEW La ministre Delphine Batho devra engager la transition énergétique promise par François Hollande.
Installée à l’hôtel de Roquelaure depuis dix jours, Delphine Batho, la nouvelle ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, potasse ses sujets. Cette spécialiste des questions de sécurité plonge dans le bain du nucléaire, de la biodiversité et des modes de consommation durables. Un univers inconnu pour ce spécimen issu d’un biotope 100% socialiste.
A l’Ecologie, Vous êtes un peu une ministre surprise, non ?
Non !
Pourtant, vous remplacez au pied levé Nicole Bricq sur un sujet éloigné de vos domaines de prédilection…
Je suis une écologiste de terrain, j’assume de ne pas savoir tout sur tout. Je me méfie du gouvernement des experts. J’ai une légitimité démocratique. Et J’appartiens à une génération qui a été marquée par les marées noires, Tchernobyl, Bhopal. L’écologie a toujours été une des raisons de mon engagement.
Dans l’affaire des forages de Guyane, on a le sentiment que l’indépendance énergétique a primé sur l’écologie ?
Non. Il y avait tout simplement une décision prise par les gouvernements précédents, et dont il n’était pas juridiquement possible de se défaire. Là, il ne s’agit que d’exploration… Les ressources dont il est question sont des biens communs. Il faut réguler cette appropriation privée sans regard de l’Etat.
Les négociations budgétaires se font avec des marges de manœuvre quasi introuvables. Avez-vous des garanties sur les crédits de votre ministère ?
On prendra notre part de l’effort, mais l’écologie n’est pas un supplément d’âme vert qu’on poserait sur un modèle qui nous a conduits à la crise actuelle. Je ne suis pas une ministre greenwashing, et ce ministère est au cœur de la stratégie du gouvernement pour redresser la France. Parmi les causes de la crise économique, il y a aussi la crise écologique et l’épuisement des matières premières. Il faut inventer un nouveau modèle de développement, préparer un changement de civilisation, comprendre que l’écologie est un levier déterminant pour sortir de cette crise.
Votre ministère n’est plus un ministère d’Etat, l’Ecologie a été rétrogradée…
Il y a eu, avant, beaucoup d’affichage. Il faudra juger aux actes, pas au rang protocolaire. Nos décisions prouveront que c’est une priorité. Je vous donne rendez-vous dans un an.
Il faudrait peut-être un signal fort ?
Le signal fort, c’est de mettre la conférence environnementale, qui se déroulera en septembre, au même niveau que la conférence sociale. Elle portera sur deux sujets majeurs : l’énergie et la biodiversité. Notre perspective, c’est de faire de la France l’un des pays les plus avancés dans la reconquête de la biodiversité et d’élaborer une loi-cadre sur le sujet, la dernière datant de 1976. Nous aborderons d’autres thèmes : la fiscalité écologique, la santé environnementale - il y a des enjeux considérables comme les perturbateurs endocriniens, je suis en train de revoir le projet d’arrêté sur l’utilisation du perchloréthylène dans les pressings, les nitrates et les pesticides - et la gouvernance écologique. On sent bien que l’avancée incarnée par le Grenelle est essoufflée : il était prévu de réduire de moitié l’usage des pesticides, il a augmenté de 2,5%. On voit les limites des engagements pris.
Jean-Marc Ayrault n’a pas mentionné la fiscalité écologique, mardi, dans sa déclaration à l’Assemblée…
Je suis en train d’examiner les mesures qui pourraient être prises dès la loi de finances 2013. Il faut une fiscalité qui oriente la consommation vers des produits durables et vertueux.
Avant d’être Premier ministre, Ayrault avait qualifié la taxe carbone de «taxe bobo». Et vous?
C’était aussi mon point de vue. Je pense que c’est dangereux de transformer l’écologie en une addition de taxes injustes socialement. Les citoyens éloignés des centres-ville, ceux qui habitent en milieu rural et qui sont obligés d’avoir des voitures pour travailler, sont ceux qui subissent la crise de plein fouet. Leur faire porter un effort supplémentaire serait injuste. Il faut une adhésion des citoyens au changement écologique. Il y a énormément d’initiatives locales qui montrent que c’est possible, comme la multiplication des circuits courts pour l’alimentation ou l’engagement des régions dans les énergies renouvelables.
Comment allez-vous engager la transition énergétique ?
Nous voulons réduire la part du nucléaire de 75 à 50% à l’horizon 2025, et développer les renouvelables. Mon espoir est que les discussions en cours au niveau européen sur la croissance permettent de soutenir nos efforts, en particulier pour l’isolation thermique des logements. Avec la ministre du Logement, Cécile Duflot, nous espérons pouvoir annoncer des actions dès septembre. C’est un enjeu vertueux pour l’écologie, pour le pouvoir d’achat et pour l’économie puisqu’on crée des emplois. Ce gouvernement veut faire de l’écologie sociale et, donc, faire très vite la réforme de la progressivité des tarifs de l’eau, du gaz et de l’électricité.
Plus on consommera, plus on paiera ?
Oui, en tenant compte de paramètres comme le revenu familial, le nombre de personnes dans le foyer ou le type de logement. Il ne s’agit pas de sanctionner les gens qui ont des logements mal isolés. Ce sera complété par un dispositif contre la précarité énergétique.
La quête du graal des emplois verts va prendre du temps…
Nous sommes dans un ministère du temps long, mon but c’est d’engager des changements irréversibles. Notre horizon, ce n’est pas la prochaine élection ou le prochain remaniement. C’est faire que les générations futures puissent juger ce gouvernement comme celui qui aura engagé des changements décisifs. Le plus grand gisement d’emplois est dans les travaux pour les économies d’énergie. Dans le domaine des renouvelables, je préfère perdre un peu de temps pour remettre la situation bien à plat, notamment sur les tarifs d’achat, avec des règles stables plutôt que de prendre des décisions à la va-vite. Dans le solaire, 10 000 emplois ont été supprimés à cause des tête-à-queue incessants du gouvernement précédent.
Et quid du nucléaire ?
C’est très clair : on ferme Fessenheim, on termine l’EPR de Flamanville et on ne lance aucun nouveau projet de réacteur pendant le quinquennat. On ne construit pas l’EPR de Penly.
Donc, dans le débat sur l’énergie qui démarre à l’automne, la partie consacrée au nucléaire est déjà pliée…
Il s’agit d’avoir un débat participatif, démocratique, sur la politique énergétique de la France à long terme, mais aussi sur les stratégies immédiates concernant le développement des renouvelables et la sobriété énergétique. Cela doit nous aider à écrire la loi de programmation pour la transition énergétique. Attention à ce que le nucléaire n’occulte pas l’ensemble des questions posées sur l’énergie, notamment tous les enjeux de l’après-pétrole.
Après le Grenelle, que faire de plus ?
Le Grenelle a été une innovation, ça a été un moment fort qui a déçu ensuite dans le passage à l’acte. Nous nous inscrivons dans une forme de continuité, en reprenant la méthode de concertation et en y ajoutant les parlementaires, mais aussi dans une rupture. Les sujets difficiles ne seront pas évacués. Sinon, on a le sentiment qu’il y a eu un moment fort et derrière, ça peut finir en disant que «l’environnement ça commence à bien faire». Nous, nous voulons engager un changement durable.
Irez-vous en Bretagne cet été ? Aucun ministre de l’Ecologie n’y coupe : il faut ramasser les algues vertes…
Le ramassage coûte plus d’un million d’euros à l’Etat chaque été. La situation ne progresse pas de la même façon d’une baie à l’autre. Il y a des blocages, et, là où les choses n’avancent pas, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités en classant les sites en zone soumise à contrainte environnementale.
Votre premier geste écolo le matin ?
Manger bio. J’ai essayé les couches lavables, mais j’ai craqué au bout d’un an.
Merci à Danièle Favari de m'avoir signalé l'article.