ÉCRIT PAR : GEORGE MONBIOT LE 9 NOVEMBRE 2009
Consommer différemment ne changera pas le monde
Un article pas du tout "pensée unique". A lire et méditer.
Nos petites actions quotidiennes pour l'environnement justifient de ne pas en entreprendre de plus importantes tout en nous donnant bonne conscience. Cet article deGeorge Monbiot, éditorialiste du quotidien britannique The Guardian, a été publié le 6 novembre dernier sous le titre We cannot change the world by changing our buying habits.
Combien de fois avez-vous entendu que les petits gestes pour l'environnement amènent à s'engager dans des actions plus décisives ? J'ai entendu ça des centaines de fois : des petits gestes quotidiens pour la planète, même anodins, sont quand même utiles parce qu'ils amènent les gens à se sentir écoresponsables, et donc à s'engager dans des actions plus efficaces.
Un expert en développement durable a même essayé de me convaincre que si les petites éoliennes de toit sont, dans le meilleur des cas, inutiles, ça vaut quand même le coup d'en faire la promotion parce qu'elles encouragent les gens à penser à leurs émissions ; un raisonnement parallèle à celui des militants antidrogues : les drogues douces conduisent vers les drogues dures.
Je n'ai jamais été convaincu par cet argument. Par expérience, les gens s'appuient plutôt sur les actions douces, pour justifier leur incapacité à s'engager dans les actions dures. Mettez en cause quelqu'un qui part en vacances en avion six fois par an, et il y a de bonnes chances qu'il vous réponde quelque chose du genre :
"Oui, mais moi je recycle tout, et je réutilise même mes sacs plastique, je respecte l'environnement".
J'ai même vu un article dans un quotidien disant qu'un couple avait gagné tellement de coupons d'achat en recyclant chez Tesco (un groupe de distribution basé principalement au Royaume-Uni, ndlr) qu'ils ont pu se payer un voyage aux Caraïbes. Il va sans dire que les gaz à effet de serre, émis par ces avions, l'emportent des centaines ou des milliers de fois sur les économies réalisées par le recyclage ; mais ces petites actions autorisent à ne pas considérer les grandes, tout en se sentant écolo.
Comme je suis un vieux cynique, j'ai toujours été suspicieux à l'égard du grand adage des avocats de la démocratie des consommateurs : "en changeant notre façon d'acheter, nous pouvons changer le monde". Cette approche pose plusieurs problèmes :
dans la démocratie du consommateur, certains ont plus de droits de vote que d'autres, et ceux qui ont le plus de droits de vote sont les plus enclins à ne rien vouloir changer ;
un changement dans les modes de consommation a peu de chance d'être efficace s'il n'est pas soutenu par des mesures gouvernementales. Ainsi vous pouvez très bien abandonner la voiture pour le vélo, mais si l'état ne réduit pas simultanément l'espace alloué à la route, on sait très bien que la place que vous libérez sera prise par quelqu'un dont la voiture sera probablement plus polluante que la vôtre (le trafic routier s'accroît jusqu'à remplir l'espace routier disponible).
Notre pouvoir est d'agir comme des citoyens - et d'exiger des changements politiques - pas d'agir comme des consommateurs.
N'arrêtez surtout pas pour autant !
Nous sommes très bons pour minimiser notre impact sur l'environnement. Nous nous rappelons volontiers de nos bonnes actions et peu de nos mauvaises. Attention, je ne suis pas en train de dire que vous ne devez pas choisir les produits les plus respectueux de l'environnement : vous devez le faire. Pas plus que je ne dis que l'achat éthique est inutile. Le commerce équitable est source de réelles différences de conditions de vie pour les producteurs. Les denrées à l'origine dûment vérifiée (par exemple le bois certifié FSC, ou le poisson en provenance de pêcheries approuvées par le Marine Steward Council) réduisent probablement les dégâts faits à l'environnement comparées à leurs alternatives. Mais ces décisions nous conduisent à croire que notre performance environnementale est bien meilleure que la réalité.
Les écolos sont-ils plus égoïstes ?
Je n'ai pas été surpris de lire la publication d'une étude dans le magazine Nature de cette semaine qui montre qu'acheter des produits écolos peut nous amener à agir de façon plus égoïste. Des psychologues de l'université de Toronto ont soumis les étudiants à une série d'expériences astucieuses.
D'abord ils leur ont demandé d'acheter une liste de produits, sachant qu'ils pouvaient choisir des produits conventionnels ou écolos. Ensuite ils ont été engagés dans un jeu ou il devait partager une somme d'argent avec d'autres. Résultats : les étudiants qui ont acheté des produits écolos ont été moins enclins à partager, que ceux achetant des produits conventionnels.
Les chercheurs ont ensuite refait la même expérience avec d'autres groupes d'étudiants, mais le jeu consistait à gagner de l'argent avec un jeu sur ordinateur ; ensuite ils recevaient l'argent gagné dans une enveloppe et devaient le compter. Les chercheurs ont montré que l'achat écolo avait une telle propension à l'autosatisfaction morale qu'il exonérait de toute analyse des actes à venir, y compris le mensonge, la tricherie ou le vol.
Le magazine Nature emploie le terme de "compensation morale" ( moral offset dans le texte anglais original,ndlr) ; un terme que je considère utile. Aussi peut être que la culpabilité a du bon. Les publicistes disent que la génération d'un sentiment de culpabilité est contre-productive et qu'il vaut mieux donner aux consommateurs une bonne impression d'eux-mêmes ; ces résultats suggèrent qu'ils n'ont probablement pas raison. Ils nous offrent aussi quelques introspections fascinantes de la condition humaine. Cette vieille et cruelle notion chrétienne du pêché originel n'est peut être pas une si mauvaise idée après tout...