Avec Valls, double peine pour les pauvres.
Par Pierre Concialdi, membre des économistes atterrés.
a France vit au-dessus de ses moyens et la seule solution serait de baisser les dépenses publiques. Autopsie d’un discours de classe.
La France vit au-dessus de ses moyens ? Regardons le compte privé des ménages, celui qui finance leur consommation quotidienne. Le discours de Valls « parle » certainement aux 20 % les plus pauvres à qui il manque chaque année plus d’un mois de revenu pour boucler leur budget. Ces ménages vivent bien au-dessous de leurs besoins. À l’opposé, les 20 % les plus riches consomment trois fois plus que les 20 % les plus pauvres et parviennent malgré tout à épargner quatre mois de leurs revenus. Ceux-là vivent manifestement au-dessus de leurs besoins ! Globalement, les ménages français consomment cependant bien moins que ce qu’ils gagnent, avec un taux d’épargne qui est depuis longtemps un des plus élevés des pays de l’Union européenne (environ deux mois de revenus). So what ?
Le « déficit » ne vient pas de ces consommations privées mais du compte socialisé qui finance, grâce à l’impôt, un pouvoir d’achat collectif, avec notamment la fourniture de services publics non marchands (éducation, santé, transferts en nature, investissements collectifs…). La grande différence avec les ménages, c’est que l’État peut décider à la fois du montant de ses dépenses mais aussi de celui de ses recettes. Les dépenses n’ont pas explosé ; elles avaient même diminué entre 1993 et 2008 avant de rebondir légèrement avec la crise. Mais les recettes ont chuté bien plus fortement avec la multiplication des allégements fiscaux et des niches fiscales. D’où un endettement qui a fait boule de neige avec la montée des taux d’intérêt. Bref, la hausse de la dette est le produit d’une politique délibérée d’assèchement des recettes fiscales qui est clairement une politique de classe.
Inutile en effet de pleurer sur le pseudo-fardeau légué aux générations futures car la dette se finance ici et maintenant grâce à l’épargne des plus riches. C’est double bénéfice pour eux qui payent moins d’impôt et se font encore plus de blé en « finançant » la dette de l’État grâce à leur épargne.
Pour les ménages les plus modestes, c’est la double peine. L’impôt pèse de plus en plus sur eux et la baisse des dépenses publiques les heurte de plein fouet. Le pouvoir d’achat collectif lié à ces dépenses contribue en effet pour plus de 40 % au niveau de vie du cinquième le plus pauvre, contre environ 10 % pour le cinquième le plus riche. Baisser ce pouvoir d’achat de 50 milliards équivaut à prendre quelques jours de revenus aux 20 % les plus riches, mais environ trois semaines de leurs revenus aux 20 % les plus pauvres. D’un côté, on égratigne une épargne superflue, de l’autre on mord encore plus sur le nécessaire. À chacun selon ses moyens : c’est le slogan du PS pour les prochaines élections.
Paru dans Siné Mensuel N°31 - mai 2014