A quoi je sers?
e soir, je fais défiler les fils d'actualité. Impossible de dire la raison de ce sentiment confus de lassitude. Aucune réflexion malicieuse ne me vient, pas de bon mot, aucun second degré à l'horizon. Trop c'est trop! L'actualité s'emballe et génère une vague de scepticisme. La colère monte, monte, le sentiment d'impuissance m'envahit. Ce terrible sentiment de ne servir à rien, de n'être qu'une goutte qui se mêle au flot et ne modifie en rien la vague qui l'emporte.
Je pourrais vous parler de cet ourang-outan qui hier essayait de défendre son arbre contre un bulldozer! sans la certitude que cette vidéo soit réelle, mais le cœur serré tout de même! Depuis 1995, à Bornéo, 100.000 Ourangs Outans ont perdu la vie à cause de la déforestation. Il en reste à peine un tiers qui, chassés des forêts, mangent dans les champs où ils sont abattus. Et ça change quoi à leur malheureux sort?
Je pourrais vous parler de ce militant arrêté et inquiété car il a osé frapper une marionnette de l'empereur Macron. Et ça change quoi? Combien de français susceptibles de prendre enfin conscience que notre pays s'enfonce dans une forme de dictature?
Je pourrais vous parler des comptes de campagne de Macron, mais vous en savez autant que moi. Ça changerait quoi? Serions-nous plus nombreux à juger cette info inadmissible et exiger qu'une enquête indépendante soit ouverte?
Je pourrais vous parler du fait que les "non inscrits" n'ont plus de droit à la prise de parole à l'assemblée. Et alors, combien de français s'indignent du fait que Lassale ne puisse plus prendre la parole? Museler l'opposition, qui s'en inquiète?
Je pourrais rajouter que les chemins de fer en Grande Bretagne connaissent de grandes difficultés, que la tête du ministre est sur le billot. Et ça persuaderait combien de français du bien fondé de la grève des cheminots chez nous?
Je pourrais tenter de vous dire que l'école, la justice, la SNCF, le code du travail, le logement social, les hôpitaux, l'environnement, la santé, le droit d'asile, les libertés publiques, et maintenant les aides sociales sont menacés par ce gouvernement. Mais combien pour me croire? Combien pour se dire qu'il faut prendre la rue d'assaut?
Et si j'évoquais les abeilles qui disparaissent de nos jardins et de nos prairies, la loi sur les fausses nouvelles qu'on aura du mal à ne pas regarder comme une loi restreignant les libertés.
Ce sentiment d'écrire pour rien ne s'effacera pas. Les français sont aujourd'hui déconnectés des réalités politiques. Enfermés dans un égoïsme soigneusement entretenu, persuadés que les responsables de leurs maux sont le voisin, le fonctionnaire, le cheminot, le titulaire du RSA, le migrant, le black, le maghrébin. Le petit jaloux du moins petit. Aveuglement de l'ignorance, choix de la facilité. Gens enfermés dans leurs minuscules certitudes, pratiques, car ne demandant aucun effort intellectuel, aucune remise en question.
Nous avons le monde que nous méritons, et sincérement, nous méritons peu! Et moi, a quoi je sers?